Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, I.djvu/433

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

raison que j’ai parlé ; je crois, et c’est par cette raison que je parle. Et que les autres avaient fait un double emploi du même temps, comme les Grecs, chez qui les aoristes s’interprètent tantôt au présent, tantôt au passé. Entre une infinité d’exemples, je me contenterai de vous en citer un seul qui vous est peut-être moins connu que les autres. Épictète dit : Θέλουσι καὶ αὐτοὶ φιλοσοφεῖν. Ἄνθρωπε, πρῶτον ἐπίσκεψαι, ὁποῖον ἐστι τὸ πρᾶγμα· εἶτα ϰαὶ τὴν σεαυτοῦ φύσιν ϰατάμαθε, εἰ δύνασαι βαστάσαι. Πένταθλος εἶναι βοὐλει. ἣ παλαιστής ; ἴδε σεαυτοῦ τοὺς βραχίονας, τοὺς μηροὺς, τὴν ὀσφῦν ϰατάμαθε. (Epicteti Enchiridion, cap. xxix.)

Ce qui signifie proprement : « Ces gens veulent aussi être philosophes. Homme, aie d’abord appris ce que c’est que la chose que tu veux être ; aie étudié tes forces et le fardeau ; aie vu si tu peux l’avoir porté ; aie considéré tes bras et tes cuisses ; aie éprouvé tes reins, si tu veux être quinquertion ou lutteur. » Mais ce qui se rend beaucoup mieux en donnant aux aoristes premiers ἐπίσκεψαι, βαστάσαι, et aux aoristes seconds, ϰατάμαθε, ἴδε, la valeur du présent. « Ces gens veulent aussi être philosophes. Homme, apprends d’abord ce que c’est que la chose. Connais tes forces et le fardeau que tu veux porter. Considère tes bras et tes cuisses. Éprouve tes reins, si tu prétends être quinquertion ou lutteur. » Vous n’ignorez pas que ces quinquertions étaient des gens qui avaient la vanité de se signaler dans tous les exercices de la gymnastique.

Je regarde ces bizarreries des temps comme des restes de l’imperfection originelle des langues, des traces de leur enfance, contre lesquelles le bon sens, qui ne permet pas à la même expression de rendre des idées différentes, eût vainement réclamé ses droits dans la suite. Le pli était pris ; et l’usage aurait fait taire le bon sens. Mais il n’y a peut-être pas un seul écrivain grec ou latin qui se soit aperçu de ce défaut. Je dis plus ; pas un, peut-être, qui n’ait imaginé que son discours ou l’ordre d’institution de ses signes suivait exactement celui des vues de son esprit. Cependant il est évident qu’il n’en était rien. Quand Cicéron commence l’oraison pour Marcellus, par Diuturni silentii, Patres conscripti, quo eram his temporibus usus, etc., on voit qu’il avait eu dans l’esprit, antérieurement à son long silence, une idée qui devait suivre, qui commandait la termi-