Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

D’ALEMBERT.

Doucement, s’il vous plaît : c’est le chef-d’œuvre de Falconet. Encore si c’était un morceau d’Huez[1] ou d’un autre…

DIDEROT.

Cela ne fait rien à Falconet ; la statue est payée, et Falconet fait peu de cas de la considération présente, aucun de la considération à venir[2].

D’ALEMBERT.

Allons, pulvérisez donc.

DIDEROT.

Lorsque le bloc de marbre est réduit en poudre impalpable, je mêle cette poudre à de l’humus ou terre végétale ; je les pétris bien ensemble ; j’arrose le mélange, je le laisse putréfier un an, deux ans, un siècle, le temps ne me fait rien. Lorsque le tout s’est transformé en une matière à peu près homogène, en humus, savez-vous ce que je fais ?

D’ALEMBERT.

Je suis sûr que vous ne mangez pas de l’humus.

DIDEROT.

Non, mais il y a un moyen d’union, d’appropriation, entre l’humus et moi, un latus, comme vous dirait le chimiste.

D’ALEMBERT.

Et ce latus, c’est la plante ?

DIDEROT.

Fort bien. J’y sème des pois, des fèves, des choux, d’autres plantes légumineuses. Les plantes se nourrissent de la terre, et je me nourris des plantes.

D’ALEMBERT.

Vrai ou faux, j’aime ce passage du marbre à l’humus, de l’humus au règne végétal, et du règne végétal au règne animal, à la chair.

  1. De l’Académie de sculpture ; auteur du monument de Maupertuis (le père) dans l’église Saint-Roch, monument dont Grimm disait : « Il ne rendra pas à M. Huez l’immortalité qu’il donne au père de Maupertuis. »
  2. Allusion aux idées défendues par Falconet dans sa correspondance, alors en pleine activité, avec Diderot, sur le désir de transmettre son nom à la postérité.