Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/122

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D’ALEMBERT.

Franchement vous m’obligeriez beaucoup de me tirer de là. Je suis un peu pressé de penser.

DIDEROT.

Quand je n’en viendrais pas à bout, qu’en résulterait-il contre un enchaînement de faits incontestable ?

D’ALEMBERT.

Rien, sinon que nous serions arrêtés là tout court.

DIDEROT.

Et pour aller plus loin, nous serait-il permis d’inventer un agent contradictoire dans ses attributs, un mot vide de sens, inintelligible ?

D’ALEMBERT.

Non.

DIDEROT.

Pourriez-vous me dire ce que c’est que l’existence d’un être sentant, par rapport à lui-même ?

D’ALEMBERT.

C’est la conscience d’avoir été lui, depuis le premier instant de sa réflexion jusqu’au moment présent.

DIDEROT.

Et sur quoi cette conscience est-elle fondée ?

D’ALEMBERT.

Sur la mémoire de ses actions.

DIDEROT.

Et sans cette mémoire ?

D’ALEMBERT.

Sans cette mémoire il n’aurait point de lui[1], puisque, ne sentant son existence que dans le moment de l’impression, il n’aurait aucune histoire de sa vie. Sa vie serait une suite interrompue de sensations que rien ne lierait.

DIDEROT.

Fort bien. Et qu’est-ce que la mémoire ? d’où naît-elle ?

D’ALEMBERT.

D’une certaine organisation qui s’accroît, s’affaiblit et se perd quelquefois entièrement.

  1. Nous disons maintenant de moi.