Aller au contenu

Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/154

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

C’est le docteur.

D’ALEMBERT.

Bonjour, docteur : que faites-vous ici si matin ?

BORDEU.

Vous le saurez : dormez.

D’ALEMBERT.

Ma foi, j’en ai besoin. Je ne crois pas avoir passé une autre nuit aussi agitée que celle-ci. Vous ne vous en irez pas que je ne sois levé.

BORDEU.

Non. Je gage, mademoiselle, que vous avez cru qu’ayant été à l’âge de douze ans une femme la moitié plus petite, à l’âge de quatre ans encore une femme la moitié plus petite, fœtus une petite femme, dans les testicules[1] de votre mère une femme très-petite, vous avez pensé que vous aviez toujours été une femme sous la forme que vous avez, en sorte que les seuls accroissements successifs que vous avez pris ont fait toute la différence de vous à votre origine, et de vous telle que vous voilà.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

J’en conviens.

BORDEU.

Rien cependant n’est plus faux que cette idée. D’abord vous n’étiez rien. Vous fûtes, en commençant, un point imperceptible, formé de molécules plus petites, éparses dans le sang, la lymphe de votre père ou de votre mère ; ce point devint un fil délié, puis un faisceau de fils. Jusque-là, pas le moindre vestige de cette forme agréable que vous avez : vos yeux, ces beaux yeux, ne ressemblaient non plus à des yeux que l’extrémité d’une griffe d’anémone ne ressemble à une anémone. Chacun des brins du faisceau de fils se transforma, par la seule nutrition et par sa conformation, en un organe particulier : abstraction faite des organes dans lesquels les brins du faisceau se métamorphosent, et auxquels ils donnent naissance. Le faisceau est un système purement sensible ; s’il persistait sous cette forme, il serait susceptible de toutes les impressions relatives à la sensibilité pure, comme le froid, le chaud, le doux, le rude. Ces impressions

  1. Lisez ovaires.