Aller au contenu

Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

BORDEU.

C’est que nous ne réduirions plus l’homme dans nos colonies à la condition de la bête de somme.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Vite, vite, docteur, mettez-vous à la besogne, et faites-nous des chèvre-pieds.

BORDEU.

Et vous le permettrez sans scrupule ?

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Mais, arrêtez, il m’en vient un ; vos chèvre-pieds seraient d’effrénés dissolus.

BORDEU.

Je ne vous les garantis pas bien moraux.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Il n’y aura plus de sûreté pour les femmes honnêtes ; ils multiplieront sans fin, à la longue il faudra les assommer ou leur obéir. Je n’en veux plus, je n’en veux plus. Tenez-vous en repos.

bordeu, en s’en allant.

Et la question de leur baptême ?

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Ferait un beau charivari en Sorbonne.

BORDEU.

Avez-vous vu au Jardin du Roi, sous une cage de verre, un orang-outang qui a l’air d’un saint Jean qui prêche au désert ?

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Oui, je l’ai vu.

BORDEU.

Le cardinal de Polignac lui disait un jour : « Parle, et je te baptise. »

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Adieu donc, docteur ; ne nous délaissez pas des siècles, comme vous faites, et pensez quelquefois que je vous aime à la folie. Si l’on savait tout ce que vous m’avez conté d’horreurs ?

BORDEU.

Je suis bien sûr que vous vous en tairez.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Ne vous y fiez pas, je n’écoute que pour le plaisir de redire. Mais encore un mot, et je n’y reviens de ma vie.