Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/234

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de plus ; qui commande et qui n’est pas obéi ; qui peut empêcher, et qui n’empêche pas. Contraires à la nature, parce qu’ils supposent qu’un être pensant, sentant et libre, peut être la propriété d’un être semblable à lui. Sur quoi ce droit serait-il fondé ? Ne vois-tu pas qu’on a confondu, dans ton pays, la chose qui n’a ni sensibilité, ni pensée, ni désir, ni volonté ; qu’on quitte, qu’on prend, qu’on garde, qu’on échange sans qu’elle souffre et sans qu’elle se plaigne, avec la chose qui ne s’échange point, ne s’acquiert point ; qui a liberté, volonté, désir ; qui peut se donner ou se refuser pour un moment ; se donner ou se refuser pour toujours ; qui se plaint et qui souffre ; et qui ne saurait devenir un effet de commerce, sans qu’on oublie son caractère, et qu’on fasse violence à la nature ? Contraires à la loi générale des êtres. Rien, en effet, te paraît-il plus insensé qu’un précepte qui proscrit le changement qui est en nous ; qui commande une constance qui n’y peut être, et qui viole la liberté du mâle et de la femelle, en les enchaînant pour jamais l’un à l’autre ; qu’une fidélité qui borne la plus capricieuse des jouissances à un même individu ; qu’un serment d’immutabilité de deux êtres de chair, à la face d’un ciel qui n’est pas un instant le même, sous des antres qui menacent ruine ; au bas d’une roche qui tombe en poudre ; au pied d’un arbre qui se gerce ; sur une pierre qui s’ébranle ? Crois-moi, vous avez rendu la condition de l’homme pire que celle de l’animal. Je ne sais ce que c’est que ton grand ouvrier : mais je me réjouis qu’il n’ait point parlé à nos pères, et je souhaite qu’il ne parle point à nos enfants ; car il pourrait par hasard leur dire les mêmes sottises, et ils feraient peut-être celle de le croire. Hier, en soupant, tu nous as entretenus de magistrats et de prêtres ; je ne sais quels sont ces personnages que tu appelles magistrats et prêtres, dont l’autorité règle votre conduite ; mais, dis-moi, sont-ils maîtres du bien et du mal ? Peuvent-ils faire que ce qui est juste soit injuste, et que ce qui est injuste soit juste ? dépend-il d’eux d’attacher le bien à des actions nuisibles, et le mal à des actions innocentes ou utiles ? Tu ne saurais le penser, car, à ce compte, il n’y aurait ni vrai ni faux, ni bon ni mauvais, ni beau ni laid ; du moins, que ce qu’il plairait à ton grand ouvrier, à les magistrats, à tes prêtres, de prononcer tel ; et, d’un moment à l’autre, tu serais obligé de changer d’idées