Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/263

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au point de pressentir sérieusement l’approche d’un dieu, de s’agiter, de s’écheveler, d’écumer, de s’écrier : Je le sens, je sens, le voilà, le dieu, et d’en trouver le vrai discours. Un solitaire[1], brûlant dans ses idées ainsi que dans ses expressions, disait aux hérésiarques de son temps : Adressez-vous aux femmes ; elles reçoivent promptement, parce qu’elles sont ignorantes ; elles répandent avec facilité, parce qu’elles sont légères ; elles retiennent longtemps, parce qu’elles sont têtues. Impénétrables dans la dissimulation, cruelles dans la vengeance, constantes dans leurs projets, sans scrupules sur les moyens de réussir, animées d’une haine profonde et secrète contre le despotisme de l’homme, il semble qu’il y ait entre elles un complot facile de domination, une sorte de ligue, telle que celle qui subsiste entre les prêtres de toutes les nations. Elles en connaissent les articles sans se les être communiqués. Naturellement curieuses, elles veulent savoir, soit pour user, soit pour abuser de tout. Dans les temps de révolution, la curiosité les prostitue aux chefs de parti. Celui qui les devine est leur implacable ennemi. Si vous les aimez, elles vous perdront, elles se perdront elles-mêmes ; si vous croisez leurs vues ambitieuses, elles ont au fond du cœur ce que le poëte a mis dans la bouche de Roxane :


Malgré tout mon amour, si dans cette journée
Il ne m’attache à lui par un juste hyménée ;
S’il ose m’alléguer une odieuse loi ;
Quand je fais tout pour lui, s’il ne fait tout pour moi ;
Dès le même moment, sans songer si je l’aime,
Sans consulter enfin si je me perds moi-même,
J’abandonne l’ingrat, et le laisse rentrer
Dans l’état malheureux d’où je l’ai su tirer.

Racine, Bajazet, acte I, scène iii.


Toutes méritent d’entendre ce qu’un autre poëte, moins élégant, adresse à l’une d’entre elles :


C’est ainsi que, toujours en proie à leur délire,
Vos pareilles ont su soutenir leur empire,
Vous n’aimâtes jamais ; votre cœur insolent
Tend bien moins à l’amour qu’à subjuguer l’amant.

  1. Saint Jérôme. (Br.)