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RÉFLEXIONS


SUR LE LIVRE DE L’ESPRIT


PAR M. HELVÉTIUS


1758




Aucun ouvrage n’a fait autant de bruit. La matière et le nom de l’auteur y ont contribué. Il y a quinze ans que l’auteur y travaille ; il y en a sept ou huit qu’il a quitté sa place de fermier général pour prendre la femme qu’il a, et s’occuper de l’étude des lettres et de la philosophie. Il vit pendant six mois de l’année à la campagne, retiré avec un petit nombre de personnes qu’il s’est attachées ; et il a une maison fort agréable à Paris. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il ne tient qu’à lui d’être heureux ; car il a des amis, une femme charmante, du sens, de l’esprit, de la considération dans ce monde, de la fortune, de la santé et de la gaîté… Les sots, les envieux et les bigots ont dû se soulever contre ses principes ; et c’est bien du monde… L’objet de son ouvrage est de considérer l’esprit humain sous différentes faces, et de s’appuyer partout de faits. Ainsi il traite d’abord de l’esprit humain en lui-même. Il le considère ensuite relativement à la vérité et à l’erreur… Il paraît attribuer la sensibilité à la matière en général ; système qui convient fort aux philosophes et contre lequel les superstitieux ne peuvent s’élever sans se précipiter dans de grandes difficultés. Les animaux sentent, on n’en peut guère douter : or, la sensibilité est en eux ou une propriété de la matière, ou une qualité d’une substance spirituelle. Les superstitieux n’osent avouer ni l’un ni l’autre… L’auteur de l’Esprit réduit toutes les fonctions intellectuelles à la sensibilité. Apercevoir ou sentir, c’est la même chose, selon lui. Juger ou sentir, c’est la même chose… Il ne