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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/298

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Je n’en crois rien. En général, on ne sait comment un préjugé s’établit, et moins encore comment il cesse chez un peuple. Demain, le roi ferait pendre un de ses frères pour un crime, que le supplice n’en serait pas moins déshonorant parmi nous ; après-demain, il ferait asseoir à sa table le père d’un pendu, que les filles de ce père ne trouveraient pas des époux, même parmi les courtisans. S’il est si difficile de détruire des erreurs qui n’ont pour elles que leur généralité et leur vétusté, comment vient-on à bout de celles qui sont aussi générales, aussi vieilles et plus accompagnées de terreurs, appuyées de la menace des dieux, sucées avec le lait et prêchées par des bouches respectées et stipendiées à cet effet ? Je ne connais qu’un seul et unique moyen de renverser un culte, c’est d’en rendre les ministres méprisables par leurs vices et par leur indigence. [Les philosophes ont beau s’occuper à démontrer l’absurdité du christianisme, cette religion ne sera perdue que quand on verra à la porte de Notre-Dame ou de Saint-Sulpice des gueux en soutane déguenillée offrir la messe, l’absolution et les sacrements au rabais, et que quand on pourra demander des filles à ces gredins-là. C’est alors qu’un père un peu sensé menacerait son fils de lui tordre le cou, s’il voulait être prêtre. S’il faut que le christianisme s’abolisse, c’est comme le paganisme cessa ; et][1] le paganisme ne cessa que quand on vit les prêtres de Sérapis demander l’aumône aux passants, à l’entrée de leurs superbes édifices, que quand ils se mêlèrent d’intrigues amoureuses, et que les sanctuaires furent occupés par des vieilles qui avaient à côté d’elles une oie fatidique, et qui s’offraient à dire aux jeunes garçons et aux jeunes filles leur bonne aventure pour un sou ou deux liards de notre monnaie[2]. Quel est donc le moment qu’il faudrait hâter ? Celui où les habitués de Saint-Roch diront à nos neveux : « Qui veut une messe ? Qui en veut une pour un sou, pour deux sous, pour un liard ? » et qu’on lira au-dessus de leurs confessionnaux comme à la porte des barbiers : Céans on absout de toutes sortes de crimes à juste prix.

  1. Naigeon avait cité ce passage dans ses Mémoires, à partir de : En général… mais la partie entre crochets fut supprimée dans l’édition Brière de ces Mémoires. Nous retrouverons la même idée exprimée presque dans les mêmes termes dans le Discours d’un philosophe à un roi, pièce également inédite.
  2. La citation de Naigeon s’arrête ici.