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CHAPITRE XXIII


Page 193. — Les plus sublimes vérités, une fois simplifiées et réduites aux moindres termes, se réduisent en faits, et dès lors ne présentent plus à l’esprit que cette proposition : le blanc est blanc, le noir est noir.

Mais cette réduction est-elle toujours possible ? On résout tout problème par analyse ou par synthèse. La synthèse descend des premiers principes à une conclusion qui en est très-éloignée, et l’analyse remonte de cette conclusion éloignée aux premiers principes. Il est vrai que dans l’une et l’autre méthode, chaque pas est identique à celui qui le précède ou le suit, mais cette identité est-elle toujours facile à saisir ? Est-elle également évidente pour tous les esprits ? La suite des pas n’est-elle pas souvent très-longue, et tout esprit est-il en état de la suivre et de l’avoir présente ? La conviction n’est pas la certitude et la mémoire de toutes ces identités, et cela dans l’ordre démonstratif ; car la démonstration ne résulte pas seulement de chacune d’elles, ni même de leur somme, mais de leur enchaînement. Fermat, je crois, qui n’était pas une tête étroite, disait de la démonstration du rapport du cylindre à la sphère, trouvée par Archimède : Memini me vim illius demonstrationis nunquam percepisse totam ; j’ai mémoire de n’avoir jamais senti toute la force de cette démonstration. Il n’y a point de géomètre, si grand qu’il soit, qui ne vous avoue qu’il s’est lui-même perdu quelquefois sur la longueur de ses démonstrations.

Mais celui qui peut entendre la solution du problème de la précession des équinoxes était-il en état de la trouver ? Non. Cette réduction d’une vérité éloignée à un fait simple n’est pas l’ouvrage de tout esprit. Il n’y a point de mauvais édit du souverain qu’on ne puisse réduire à cette conclusion : Donc, sire, votre bon plaisir est que nous bridions nos moissons ; mais y a-t-il beaucoup d’hommes capables, je ne dis pas de faire, mais d’entendre cette proposition ?

Ce n’est pas seulement en géométrie, c’est dans tout art et toute science que les vérités sont identiques. La science de l’univers entier se réduit à un fait dans l’entendement divin. Les vérités sont donc identiques en économie politique, pour-