Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/376

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folie est un phénomène qui, bien considéré, vous aurait conduit à d’autres résultats que les vôtres. On voit, on entend, on flaire, on goûte, on touche aussi finement aux Petites-Maisons que dans votre cabinet de la rue Sainte-Anne, mais on y raisonne bien diversement. Que ne vous en demandiez-vous la raison ? Cette question, si vous vous l’étiez faite, aurait ajouté plus d’un chapitre essentiel à votre ouvrage ; peut-être vous aurait-elle mené à la vraie cause de la différence des esprits, et engagé dans la recherche des moyens, s’il y en a, de réparer le vice d’un organe principal, de ce miroir sentant, pensant, jugeant, terne, obscurci, brisé, à la décision duquel toutes nos sensations sont soumises. Vous persuaderez-vous aisément que dans une machine telle que l’homme, où tout est si étroitement lié, où tous les organes agissent et réagissent les uns sur les autres, une de ses parties, solide ou fluide, puisse être viciée impunément pour les autres ? Vous persuaderez-vous bonnement que la nature des humeurs, du sang, de la lymphe, la capacité des vaisseaux de tout le corps, le système des glandes et des nerfs, la dure-mère, la pie-mère, la condition des intestins, du cœur, des poumons, du diaphragme, des reins, de la vessie, des parties de la génération, puisse varier sans conséquence pour le cerveau et le cervelet ? Vous vous le persuaderez, tandis que le tiraillement d’une fibre suffit pour susciter des spasmes effrayants ; le ralentissement ou l’accélération du sang pour amener le délire et la léthargie ; la perte inconsidérée de quelques gouttes de sperme pour affaiblir ou accroître l’activité ; la suspension ou l’embarras d’une sécrétion pour jeter dans un malaise continu ; l’amputation ou le froissement de deux glandes qui semblent n’avoir aucun rapport avec les fonctions intellectuelles pour donner de la voix ou la conserver et ôter l’énergie, le courage, et presque métamorphoser un sexe en un autre ? Vous ne penserez donc pas qu’il ne naît presque aucun homme sans quelques-uns de ces défauts d’organisation, ou que le temps, le régime, les exercices, les peines, les plaisirs, ne tardent pas à les introduire en nous ; et vous persisterez dans l’opinion ou que la tête n’en sera pas affectée, ou que cette affection sera sans conséquence pour la combinaison des idées, pour l’attention, pour la raison et pour le jugement. Jugez à présent combien vous êtes resté loin de la solution du problème que vous vous êtes proposé ; jugez de la