Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/383

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cousse qui réveille l’insecte tapi à une grande distance dans un recoin obscur de l’appartement et l’accélère près de moi, est aussi nécessaire que la conséquence la plus immédiate aux deux prémisses du syllogisme le plus serré ; par conséquent que tout est hasard ou rien ; et que, soit dans le cours des événements de notre vie, soit dans la longue suite de nos études, en revenant de plus en plus en arrière, on ne manque jamais d’arriver à un fait imprévu, à une circonstance futile, à un incident en apparence le plus indifférent et peut-être en réalité, parce que l’impulsion qui ne nous serait pas venue par ce choc nous aurait été donnée par un autre. Si c’est là ce qu’on a voulu dire, cela n’en valait pas la peine ; si c’est autre chose, cela n’a pas le sens commun. Dans l’homme qui réfléchit, enchaînement nécessaire d’idées ; dans l’homme attaché à telle ou telle profession, enchaînement nécessaire de telles ou telles idées. Dans l’homme qui agit, enchaînement d’incidents dont le plus insignifiant est aussi contraint que le lever du soleil. Double nécessité propre à l’individu, destinée ourdie depuis l’origine des temps jusqu’au moment où je suis ; et c’est l’oubli momentané de ces principes dont on est imbu qui parsème un ouvrage de contradictions. On est fataliste, et à chaque instant on pense, on parle, on écrit comme si l’on persévérait dans le préjugé de la liberté, préjugé dont on a été bercé, qui a institué la langue vulgaire qu’on a balbutiée et dont on continue de se servir, sans s’apercevoir qu’elle ne convient plus à nos opinions. On est devenu philosophe dans ses systèmes et l’on reste peuple dans son propos.

Tout s’est fait en nous parce que nous sommes nous, toujours nous, et pas une minute les mêmes.

Page 3. — Or, si nous sommes redevables au hasard de ces premiers soupçons, et par conséquent de ces découvertes, peut-on assurer que nous ne lui devions pas encore le moyen de les étendre et de les perfectionner ?

Et quand j’accorderais l’un et que je nierais l’autre ; quand je prétendrais, pour me servir de votre mot, qu’il y a infiniment plus de hasard dans l’invention que dans la perfection, aurais-je si grand tort ? L’invention a quelquefois l’air de tomber du ciel ; la perfection semble plus réfléchie et tenir davantage à une perpétuité des efforts d’un homme surajoutés aux efforts d’un pré-