Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/413

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et leur criait : « Parlez donc, belles dames ; avez-vous résolu de passer l’éternité dans votre trou ? Où en êtes-vous de votre triste besogne ? » Minerve lui répondit: « Indigne ! scélérat ! elle est faite ; va nous chercher une nourrice… » Momus va et revient avec une grosse joufflue, sans raison, sans souci, riant sans savoir pourquoi, parlant sans cesse sans savoir ce qu’elle dit. On lui donne l’enfant, elle l’emporte. Momus et Minerve s’en retournent au ciel, chacun de son côté, et la Vérité reste au fond de son puits, où elle est encore.

— Et le bâtard ?

— Je ne finirais jamais si j’entreprenais de vous raconter ses fortunes diverses. Voyez-vous cette énorme suite de volumes ?

— Mais c’est l’Histoire universelle, compilée par une Société de gens de lettres.

— Et la sienne.

— Eh ! vous avez raison ; le bâtard de la Folie et de la Sagesse délivrée par la Vérité, et le filleul de Jupiter, allaité par la Sottise, c’est l’homme.

Il fut toute sa vie véridique et menteur, triste et gai, sage et fou, bon et méchant, ingénieux et sot, sans qu’on ait jamais pu effacer entièrement les traits qu’il tenait de son père, de sa mère, de son parrain, de la sage-femme et de sa nourrice. Paresseux, ignorant et criard dans son enfance ; insouciant et libertin dans sa jeunesse ; ambitieux et sournois à cinquante ans ; philosophe et rabâcheur à soixante ; il mourut la tête dans le petit béguin de sa nourrice, jurant qu’il aimait son parrain à la folie, et ayant une peur du diable de l’aller trouver.

Comme j’achevais ce conte, j’ai reçu la visite d’un jeune Allemand, appelé Linschering, qui m’a raconté un fait assez singulier : c’est qu’entre ses condisciples il y en avait un, la risée de tous les autres par sa profonde inaptitude pour l’étude des langues.

Linschering en eut pitié et se proposa de le relever d’un mépris qui désolait cet enfant, en lui donnant quelque talent qui le mît de niveau avec le reste de la classe.

Il l’applique à la géométrie, et la première leçon fut la proposition la plus compliquée des Éléments, le rapport de la sphère au cylindre.

Ce problème devint le centre de tous les théorèmes et de tous