Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/507

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CC.

Un souverain, qui aurait quelque confiance dans ces pactes si solennellement jurés, ne serait ni plus ni moins imbécile que celui qui, étranger à nos usages, mettrait quelque valeur à ces très-humbles protestations qui terminent nos lettres.


CCI.

Si aucun souverain de l’Europe n’oserait tremper ses mains dans le sang d’un ennemi insidieusement attiré, ou dans une conférence, ou dans un repas, exemple dont les histoires sont remplies jusqu’à nos temps, c’est que les mœurs sont changées. Nous sommes moins barbares assurément ; en sommes-nous moins perfides ? J’en doute.


CCII.

Aucune nation de l’Europe ne garde plus fidèlement le pacte qu’elle a juré que le Turc, capable toutefois de renouveler de nos jours les anciennes atrocités. On peut dire de nous :


… Nil faciet sceleris pia dextera…
Sed mala tollet anum vitiato melle cicuta.


CCIII.

« Je n’ignore pas les bruits qui courent ; mais je ne veux pas que Silanus soit jugé sur des bruits[1]. Je vous conjure de négli-

  1. Diderot traduit, ou plutôt paraphrase ici à sa manière un très-beau discours que Tibère prononça en présence du sénat dans l’affaire de Silanus qui s’instruisait devant lui. Mais le texte de l’historien vaut beaucoup mieux que la paraphrase du philosophe. On ne pense pas plus profondément que Tacite, et on ne s’exprime pas mieux que lui. Si Diderot ne voulait qu’abréger le discours de Tibère, il fallait du moins en bien saisir l’esprit ; mais il se contente d’en traduire les deux premières lignes, et il prend le reste dans sa tête. Ce qu’il fait dire à Tibère n’a rien de remarquable : mais ce n’est pas ainsi que ce prince parle dans Tacite. Lorsqu’on ose substituer ses propres idées à celles de l’inimitable auteur des Annales, il faut être bien sûr de dire mieux que lui ; et l’on peut d’autant moins s’en flatter, qu’il est même très-difficile de dire aussi bien. Voyez Tacit. Annal. lib. III, cap. lxix. (N.) — Vouloir qu’en six lignes qui servent simplement d’amorce à une maxime, Diderot ait eu l’intention de lutter d’éloquence avec Tacite, c’est bien là Naigeon.