Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/58

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memoria nulla superest, et nostra nobis origo omnino abdita manet[1]. »

C’est ici que nous sommes surpris que l’auteur, ou n’ait pas aperçu les terribles conséquences de son hypothèse, ou que, s’il a aperçu les conséquences, il n’ait pas abandonné l’hypothèse. C’est maintenant qu’il faut appliquer notre méthode à l’examen de ses principes. Je lui demanderai donc si l’univers, ou la collection générale de toutes les molécules sensibles et pensantes, forme un tout, ou non. S’il me répond qu’elle ne forme point un tout, il ébranlera d’un seul mot l’existence de Dieu, en introduisant le désordre dans la nature ; et il détruira la base de la philosophie, en rompant la chaîne qui lie tous les êtres. S’il convient que c’est un tout où les éléments ne sont pas moins ordonnés que les portions, ou réellement distinctes, ou seulement intelligibles le sont dans un élément, et les éléments dans un animal, il faudra qu’il avoue qu’en conséquence de cette copulation universelle, le monde, semblable à un grand animal, a une âme ; que, le monde pouvant être infini, cette âme du monde, je ne dis pas est, mais peut être un système infini de perceptions, et que le monde peut être Dieu. Qu’il proteste tant qu’il voudra contre ces conséquences, elles n’en seront pas moins vraies ; et, quelque lumière que ses sublimes idées puissent jeter dans les profondeurs de la nature, ces idées n’en seront pas moins effrayantes. Il ne s’agissait que de les généraliser pour s’en apercevoir. L’acte de la généralisation est pour les hypothèses du métaphysicien ce que les observations et les expériences réitérées sont pour les conjectures du physicien. Les conjectures sont-elles justes ? plus on fait d’expériences, plus les conjectures se vérifient. Les hypothèses sont-elles vraies ? plus on étend les conséquences, plus elles embrassent de vérités, plus elles acquièrent d’évidence et de force. Au contraire, si les conjectures et les hypothèses sont frêles et mal fondées, ou l’on découvre un fait, ou l’on aboutit à une vérité contre laquelle elles échouent. L’hypothèse du docteur Baumann développera, si l’on veut, le mystère le plus incompréhensible de la nature, la formation des animaux, ou plus généralement celle de tous les corps organisés ;

  1. Voyez à la position 52, et à la page 78, ce morceau ; et dans les pages antérieures et postérieures, des applications très-fines et très-vraisemblables des mêmes principes à d’autres phénomènes. (Diderot.)