Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, III.djvu/488

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de leurs langues. La langue grecque ayant beaucoup influé sur le latin, et la grammaire en étant un peu plus difficile, on pense communément que c’est par cette étude qu’il faut commencer ; mais l’étudiant n’étant plus un enfant, ayant le jugement fait et la tête meublée d’une assez bonne provision de connaissances élémentaires en tout genre, il est temps qu’il médite et qu’il réfléchisse. J’estime donc que l’étude des deux langues doit marcher de front ; celui qui sait le grec, rarement ignore le latin ; et il n’est que trop commun de savoir le latin et d’ignorer le grec. Celui qui a appris le latin, ne l’oublie guère[1], et celui qui a su le grec qu’il n’a appris que par la version, l’a bientôt oublié s’il ne le cultive sans relâche. Ces deux langues renferment de si grands modèles en tous genres, qu’il est difficile d’atteindre à l’excellence du goût sans les connaître. Voyager à Rome pour les peintres, voyager à Rome et à Athènes pour les littérateurs ; celui qui a un peu de tact, discernera bientôt l’écrivain moderne qui s’est familiarisé avec les Anciens, de l’écrivain qui n’a point eu de commerce avec eux. Soit dit sans blesser le dernier traducteur français de Lucrèce[2], les meilleures traductions qu’on en a faites ne sont que des copies sans couleur, sans force et sans vie ; en parler sur ces ébauches, c’est juger Raphaël ou le Titien d’après une description.

Plusieurs années de suite j’ai été aussi religieux à lire un chant d’Homère avant de me coucher que l’est un bon prêtre à réciter son bréviaire. J’ai sucé de bonne heure le lait d’Homère, de Virgile, d’Horace, de Térence, d’Anacréon, de Platon, d’Euripide, coupé avec celui de Moïse et des prophètes.

Les langues grecque et latine ont aussi de particulier, que telle est leur flexibilité, et conséquemment la variété de style de ceux qui les ont écrites, que celui qui possède parfaitement son Homère, n’entend presque rien de Sophocle, et moins encore de Pindare, et que celui qui lit couramment Ovide et Virgile, est arrêté à chaque ligne de Pline le naturaliste, ou de l’historien Tacite.

C’est d’après l’esquisse légère que je vais donner du style des auteurs grecs et latins, et des sujets qu’ils ont traités, qu’on

  1. Selon Diderot, parce qu’il l’a appris par le thème et la version. (Note de M. Guizot.)
  2. La Grange, en 1768. Sa traduction, comme celle qu’il fit ensuite de Sénèque, avait été revue par Naigeon.