Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, III.djvu/491

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Et les ouvrages de Platon, abrégés de la science universelle, sont trop profonds, même pour les maîtres, et je les crois au moins aussi propres à gâter l’esprit qu’à perfectionner le style.

Passons au poètes. Homère, toujours Homère élèvera le génie, familiarisera avec tous les dialectes, offrira des modèles d’éloquence dans tous les genres. Son vers ressemble au polype, vivant dans son tout et dans chacune de ses parties. Les autres poètes font des vers et même de fort beaux, mais on y sent le travail et la composition. La langue de la poésie semble être la langue naturelle d’Homère. Qu’on me pardonne le petit grain d’encens que je brûle devant la statue d’un maître à qui je dois ce que je vaux, si je vaux quelque chose. Mais à quel âge l’ai-je senti, en ai-je profité ? Entre vingt et vingt-quatre ans.

J’en dis autant d’Hésiode, qui a pris pour sujets les travaux de la campagne et la Théogonie ou le catéchisme païen ; moins sublime qu’Homère, mais le premier dans le genre moyen.

Comment est-il arrivé que ces deux poètes, les plus anciens auteurs de la Grèce, en soient les écrivains les plus purs ?

Il y a de petites chansons d’Anacréon d’une délicatesse et d’un naturel charmant, mais souvent très-dissolues.

Pindare, le chantre des Jeux olympiques, plein de hauteur et de verve, est hérissé de difficultés. Son désordre n’est qu’apparent, j’en suis sûr. S’il célèbre la puissance de l’harmonie, il s’élève dans les cieux où elle apaisera le courroux des dieux ; il descend sur la terre où elle tempérera les passions des hommes ; il se précipite aux enfers où elle accroîtra le supplice des méchants. Mais où est l’élève, où est le maître capable de démêler cet artifice, et sans cela ce n’est que le bavardage décousu d’un homme en délire.

Sophocle, Euripide et Eschyle sont les trois poètes tragiques de la Grèce. Sophocle est simple et grand, mais qui est-ce qui déchiffrera ses chœurs ? Le moraliste Euripide est facile et clair, mais encore faut-il être en état de suivre la marche d’un ouvrage dramatique pour en profiter. Eschyle est épique et gigantesque lorsqu’il fait retentir le rocher sur lequel les Cyclopes attachent Prométhée et que les coups de leurs marteaux en font sortir les nymphes effrayées ; il est sublime lorsqu’il exorcise Oreste, qu’il réveille les Euménides qu’il avait endormies, qu’il les fait errer sur la scène et crier : Je sens la vapeur du sang, je sens la trace