Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, III.djvu/541

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

point de rémission pour un maître vicieux. Pères, l’indulgence déplacée pour l’instituteur de vos enfants retombera sur eux et sur vous ; souverains, l’indulgence déplacée pour de mauvais instituteurs retombera sur l’espoir de votre nation et sur vous.

Je ne dirai qu’un mot sur la manière d’enseigner, c’est que si les élèves connaissaient mieux la fatigue des maîtres, ils supporteraient plus aisément la leur. Au lieu d’affecter une supériorité de savoir, il vaudrait mieux avoir l’air d’étudier et de travailler avec eux ; c’est ainsi qu’en apprenant on les familiariserait avec l’art de montrer.

Exemple. Qu’un maître qui résout à son élève un problème d’arithmétique ou de géométrie fasse une fausse supposition, qu’il la reconnaisse, qu’il revienne sur ses pas, qu’il avance et qu’il découvre enfin la vérité qu’il cherchait, je pense qu’il instruira mieux son élève qu’en y arrivant par une marche rapide, sûre et non tâtonnée.

Il y a bien de la différence entre une erreur d’ignorance ou d’inadvertance et une erreur faite d’industrie ; celle-ci tient en garde l’élève : s’il l’aperçoit, sa petite vanité est satisfaite, elle l’habitue à se méfier, elle le forme insensiblement à la recherche de la vérité, elle lui inspire l’esprit d’invention ; l’autre perd le temps et ne rend que du mépris. L’erreur d’industrie pallierait quelquefois l’erreur involontaire et dispenserait le maître de rougir.

Cette méthode d’enseignement en apparence perplexe, douteuse, vacillante, est tout à fait socratique.

Il ne suffit pas que les maîtres soient honnêtement stipendiés, il serait encore à propos de pourvoir au temps de la vieillesse et des infirmités. L’assurance d’une pension viagère après un certain nombre d’années de bons services, les rendrait attentifs à leurs devoirs, les attacherait à leur place et les soutiendrait contre le dégoût de leurs fonctions.

Je n’ose rien prononcer sur la permission ou la défense de recevoir des présents ou autres gratifications des parents ; la permission autorise l’abus, la défense ne l’empêche pas, et c’est une mauvaise loi qu’une loi prohibitive qui n’a point d’exécution.

Et des maîtres, comment s’en pourvoit-on ? Pour le moment on en appelle de toutes les contrées ; bons, médiocres, mauvais, qu’ils aient des mœurs, cela suffit. On les stipendie largement.