Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/116

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et des vieux abus ? quand il faut combattre à la fois les vices de l’humanité et ceux des lois même, le poison du cœur humain et le venin des cours ; quand tout, jusqu’au costume révéré, jusqu’au despotisme de l’étiquette, conspire à renouveler les têtes de l’hydre qu’il faut abattre ? De quel œil M. de Cambrai dut-il envisager cette multitude d’absurdités jugées indispensables, de minuties graves, mais établies, mais consacrées comme base de l’éducation des princes, mais militant de concert pour les corrompre, et qui, si nous n’étions Français, nous feraient croire à un miracle plutôt qu’à la bonté d’un roi né roi ? À quel monstrueux aveuglement réserve-t-on des infortunés qui n’ouvrent les yeux que pour contempler un culte idolâtre de leurs personnes ; des enfants qui, dès qu’ils voient, voient des hommes prosternés devant eux, c’est-à-dire l’humiliation de toutes les forces devant toutes les faiblesses ? Quelle doit être leur première idée, dès qu’ils ont pressenti le respect superstitieux d’une nourrice tremblante, osant à peine toucher aux langes des êtres débiles qui lui doivent de vivre ? La nature veut que l’enfant souffre ; elle le veut pour que la commisération soit sa première pensée et la reconnaissance sa seconde ; voilà l’ordre de la nature et vous la pervertissez. Cet enfant roi crie : est-ce une main protectrice, paternelle et puissante que vous lui tendez ? Non ; vous l’étonnez par un effroi tumultueux qui trouble ses sens, les tourmente, et qui, détruisant jusqu’au bien que vous lui voulez faire, lui va bientôt faire accroire que la nature est troublée parce qu’il pleure. Il ne peut se soutenir ; on le porte en pompe. Il sort ; une garde prend les armes. Il a peur de votre hommage et vous le lui offrez ! Que pensera-t-il au spectacle de vos prosternations ? Vous voulez donc qu’il prenne son berceau pour un autel, lui pour un dieu… Et vous tous alors, pour qui vous prendra-t-il ? Ô princes ! malheureux de l’être, qui naissez dans l’orgueil, croissez dans le mensonge, vivez dans l’adulation et la toute-puissance : combien ne faut-il pas que vous soyez nés bons pour n’être pas les plus méchants des hommes !