Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/119

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les a faits que pour être enchaînés et pour trembler. D’après ces préventions funestes, le disciple de la nature est communément reçu de ses concitoyens de la même manière que l’oiseau lugubre de la nuit, que tous les autres oiseaux, dès qu’il sort de sa retraite, poursuivent avec une haine commune et des cris différents.

Non, mortels, aveuglés par la terreur ! l’ami de la nature n’est point votre ennemi ; son interprète n’est point le ministre du mensonge ; le destructeur de vos fantômes n’est point le destructeur des vérités nécessaires à votre bonheur ; le disciple de la raison n’est point un insensé qui cherche à vous empoisonner ou à vous communiquer un délire dangereux. S’il arrache la foudre des mains de ces dieux terribles qui vous épouvantent, c’est pour que vous cessiez de marcher au milieu des orages dans une route que vous ne distinguez qu’à la lueur des éclairs. S’il brise ces idoles encensées par la crainte ou ensanglantées par le fanatisme et la fureur, c’est pour mettre en leur place la vérité consolante propre à vous rassurer. S’il renverse ces temples et ces autels si souvent baignés de larmes, noircis par des sacrifices cruels, enfumés par un encens servile, c’est pour élever à la paix, à la raison, à la vertu un monument durable, dans lequel vous trouviez en tout temps un asile contre vos frénésies, vos passions et contre celles des hommes puissants qui vous oppriment. S’il combat les prétentions hautaines de ces tyrans déifiés par la superstition, qui, de même que vos dieux, vous écrasent sous un sceptre de fer, c’est pour que vous jouissiez des droits de votre nature ; c’est afin que vous soyez des hommes libres et non des esclaves pour toujours enchaînés dans la misère ; c’est pour que vous soyez enfin gouvernés par des hommes et des citoyens qui chérissent, qui protègent des hommes semblables à eux et des citoyens dont ils tiennent leur pouvoir. S’il attaque l’imposture, c’est pour rétablir la vérité dans ses droits si longtemps usurpés par l’erreur. S’il détruit la base idéale de cette morale incertaine ou fanatique qui jusqu’ici n’a fait qu’éblouir vos esprits sans corriger vos cœurs, c’est pour donner à la science des mœurs une base inébranlable dans votre propre nature. Osez donc écouter sa voix, bien plus intelligible que ces oracles ambigus que l’imposture vous annonce au nom d’une divinité captieuse qui contredit sans cesse ses pro-