Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/124

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

malheureux qui le maudissent ? Crois-tu que ce tyran entouré de flatteurs qui l’étourdissent de leur encens n’ait point la conscience de la haine que ses oppressions excitent et du mépris que lui attirent ses vices, son inutilité, ses débauches ? Penses-tu que ce courtisan altier ne rougisse point au fond de son âme des insultes qu’il dévore et des bassesses par lesquelles il achète la faveur ?

« Vois ces riches indolents en proie à l’ennui et à la satiété qui suit toujours les plaisirs épuisés. Vois l’avare, inaccessible aux cris de la misère, gémir exténué sur l’inutile trésor qu’aux dépens de lui-même il a pris soin d’amasser. Vois le voluptueux si gai, l’intempérant si riant, gémir secrètement sur une santé prodiguée. Vois la division et la haine régner entre ces époux adultères. Vois le menteur et le fourbe privés de toute confiance ; vois l’hypocrite et l’imposteur éviter avec crainte tes regards pénétrants et trembler au seul nom de la terrible vérité. Considère le cœur inutilement flétri de l’envieux qui sèche du bien-être des autres, le cœur glacé de l’ingrat que nul bienfait ne réchauffe, l’âme de fer de ce monstre que les soupirs de l’infortune ne peuvent amollir ; regarde ce vindicatif qui se nourrit de fiel et de serpents, et qui, dans sa fureur, se dévore lui-même ; porte envie, si tu l’oses, au sommeil de l’homicide, du juge inique, de l’oppresseur, du concussionnaire dont la couche est infestée par les torches des furies… Tu frémis, sans doute, à la vue du trouble qui agite ce publicain engraissé de la substance de l’orphelin, de la veuve et du pauvre ; tu trembles en voyant les remords qui déchirent ces criminels révérés que le vulgaire croit heureux, tandis que le mépris qu’ils ont d’eux-mêmes venge incessamment les nations outragées. Tu vois, en un mot, le contentement et la paix bannis sans retour du cœur des malheureux à qui je mets sous les yeux les mépris, l’infamie, les châtiments qu’ils méritent. Mais non, tes yeux ne peuvent soutenir les tragiques spectacles de mes vengeances. L’humanité te fait partager leurs tourments mérités ; tu t’attendris sur ces infortunés, à qui des erreurs, des habitudes fatales rendent le vice nécessaire ; tu les fuis sans les haïr, tu voudrais les secourir. Si tu te compares à eux, tu t’applaudis de retrouver toujours la paix au fond de ton propre cœur. Enfin tu vois s’accomplir et sur eux et sur toi le décret du destin, qui veut que le crime se