Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/130

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C’est ici, dis-je en moi-même, où je dois terminer ma course. Je vais trouver ici un vrai Dieu, un culte parfait, une morale saine, des principes certains, des hommes raisonnables ; quoi de plus heureux !

Je continue cependant ma lecture ; ah ! que je suis trompé ! Cette admirable perspective qui avait d’abord ravi mon esprit et enchanté mes sens, ces idées pures et consolantes qui avaient enflammé mon cœur et presque satisfait ma raison, tout ce sublime disparaît pour ne faire place qu’à des objets hideux et révoltants. En parcourant ce livre reçu, dit-on, des mains de Dieu par l’entremise de son serviteur Moïse et de ses autres prophètes, je suis indigné d’y trouver des traits qui blessent la grandeur et la majesté divine, et qui me le dépeignent aussi mauvais qu’il doit être bon. Tout me révolte, je crois errer dans le champ de l’imposture ; tout porte le sceau du fanatisme ; tout est marqué au coin de l’impertinence et du ridicule, de la cruauté et de la barbarie.

Dieu trace sur le front d’un des enfants du premier homme les traits de sa colère, fait couler dans son cœur le poison de l’envie, de la rage contre son frère, et le rend pour toujours l’objet de l’exécration de ceux qui doivent naître de lui ou de son père.

Dieu se repent d’avoir créé l’homme, pænitet. Quel blasphème ! quoi ! Dieu serait-il comme l’homme qu’il a créé, imparfait, borné, changeant, capricieux ? Aurait-il pu, par défaut de connaissance et de capacité, former un ouvrage mauvais, et s’exposer, faute de sagesse et de prudence, à se repentir d’une faute réelle ? Serait-il Dieu en même temps, et ne le serait-il pas ? quelle horrible impiété, quel monstrueux paradoxe !

L’univers entier est à peine sorti du néant et des mains de son créateur, et déjà je vois les cieux s’écrouler, se dissoudre. Il ouvre ses cataractes, une mer affreuse couvre aussitôt la surface de la terre, renverse, détruit tout ; l’univers est enseveli sous ses ondes, tout ce qui vivait périt.

Un seul homme trouvé juste parmi tous les hommes, échappe avec sa famille à la destruction générale de tous ses semblables. Dieu qui a connu sa faute et s’en est repenti en se vengeant sur l’ouvrage de ses mains, va sans doute la réparer, en formant le cœur des nouveaux hommes qu’il va faire naître. Leur