Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/240

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obtenir vingt amants, un directeur, un confesseur, avec une kyrielle de bramines, qui tous y avaient perdu leur latin. Cependant, toutes les fois que Sindor rencontrait nos animaux, il lui prenait des impatiences qu’il avait peine à contenir. Un jour l’infortunée Zinzoline lui tomba sous la main ; il la saisit par le col, et la jeta par la fenêtre : la pauvre bête mourut de sa chute. Ce fut alors qu’il se fit un beau bruit. Haria, le visage enflammé, les yeux baignés de pleurs… »

« Le bijou allait reprendre ce qu’il avait déjà dit, car les bijoux tombent volontiers dans des répétitions. Mais Mangogul lui coupa la parole : son silence ne fut pas de longue durée. Lorsque le prince crut avoir dérouté ce bijou radoteur, il lui rendit la liberté de parler ; et le babillard, éclatant de rire, reprit comme par réminiscence : « Mais, à propos, j’oubliais de vous raconter ce qui se passa la première nuit des noces d’Haria. J’ai bien vu des choses ridicules en ma vie ; mais jamais aucune qui le fût tant. Après un grand souper, les époux sont conduits à leur appartement ; tout le monde se retire, à l’exception des femmes de madame, qui la déshabillent. La voilà déshabillée ; on la met au lit, et Sindor reste seul avec elle. S’apercevant que, plus alertes que lui, les gredins, les doguins, les levrettes, s’emparaient de son épouse : « Permettez, madame, lui dit-il, que j’écarte un peu ces rivaux.

« — Mon cher, faites ce que vous pourrez, lui dit Haria ; pour moi, je n’ai pas le courage de les chasser. Ces petits animaux me sont attachés ; et il y a si longtemps que je n’ai d’autre compagnie…

— Ils auront peut-être, reprit Sindor, la politesse de me céder aujourd’hui une place que je dois occuper.

« — Voyez, monsieur, » lui répondit Haria.

« Sindor employa d’abord les voies de douceur, et supplia Zinzoline de se retirer dans un coin ; mais l’animal indocile se mit à gronder. L’alarme se répandit parmi le reste de la troupe ; et le doguin et les gredins aboyèrent comme si l’on eût égorgé leur maîtresse. Impatienté de ce bruit, Sindor culbute le doguin, écarte un des gredins, et saisit Médor par la patte. Médor, le fidèle Médor, abandonné de ses alliés, avait tenté de réparer cette perte par les avantages du poste. Collé sur les cuisses de sa maîtresse, les yeux enflammés, le poil hérissé, et la gueule