Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/424

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arrangement le mieux entendu, et que le jour j’appartenais à Azéma, et la nuit à Vérité.

« Rousch, qui était présent, lui répondit qu’il lui abandonnait la vieille fée pour en disposer à sa fantaisie, mais qu’il prétendait qu’on s’écoutât quand on parlait d’Azéma. S’écouter, c’est ce que Lubrelu n’avait fait de sa vie ; il répondit à Rousch par une pirouette, et lui laissa murmurer entre ses dents qu’il était épris d’Azéma ; que personne ne l’ignorait ; qu’il en était aimé ; qu’il méditait depuis longtemps de l’épouser ; et que, quoiqu’il eût commencé avec elle par où les autres finissent, il n’en était pas moins amoureux.

« Lubrelu ne perdit pas ces derniers mots, qu’il redit le lendemain à Azéma, y ajoutant quelques absurdités fort atroces. Azéma en fut affligée, et s’en alla, en pleurant, se plaindre à sa tante, et la prier de l’envoyer pour quelque temps chez la fée Zirphelle, ou, dans la langue du pays, Discrète, son autre tante : Vérité y consentit. On tint le départ secret, et Azéma disparut sans que Rousch en sût rien. Il fit du bruit quand il l’apprit ; mais Azéma était déjà bien loin : il courut après elle, ne la rejoignit point, et revint une fois plus hideux, me soupçonnant d’avoir enlevé ses amours, et bien résolu de m’en faire repentir. Ses menaces ne m’effrayèrent point ; je n’ignorais pas que sa puissance était limitée, et qu’il ne me nuirait jamais que de concert avec le génie Nucton, ou comme qui dirait Sournois, qui résidait à mille lieues et plus du palais de Vérité. Mais qui l’eût cru ? Rousch disparut un matin, et l’on sut qu’il était allé consulter Nucton sur les moyens de se venger.

« Il n’était pas à un quart de lieue, qu’on entendit un grand fracas dans les avant-cours ; on crut que c’était Rousch qui revenait : point du tout, c’était une de ses amies et des parentes de Lubrelu, que le hasard avait jetée dans cette contrée ; on l’appe­lait Trocilla, comme qui dirait Bizarre. Sa manie était de courir sans savoir où elle allait ; pourvu qu’elle ne suivît pas la grande route, elle était contente : aussi apprîmes-nous qu’elle s’était en­gagée dans des chemins de traverse où son équi­page avait été mis en pièces, et qu’elle arrivait sur une mule rétive, crottée, déchirée, dans un dés­ordre à faire mourir de rire.

« On lui donna un appartement : il y en avait toujours de reste chez Vérité ; elle se reposait en attendant ses gens, qu’elle