Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/427

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la sultane.

Ah, les hommes ! les hommes !… Je les crois encore plus fous que nous.

le premier émir.

Madame en excepte sûrement le sultan.

la sultane.

Continuez.

le premier émir.

« L’occasion de l’instruire de mes sentiments n’était pas difficile à trouver ; mais il fallait se cacher de Vérité. Un jour que la fée était profondément occupée, la crainte de la distraire me servit de prétexte, et j’allai faire ma cour à Trocilla, qui me reçut bien. J’y retournai le lendemain, et elle me fit froid d’abord. Sa mauvaise humeur cessa lorsqu’elle s’aperçut que je ne m’empressais nullement à la dissiper ; elle railla la religion, les prêtres et les dévotes ; traita la modestie, la pudeur et les principales vertus de son sexe, de freins imaginés par les sottes ; et je crus victoire gagnée : point de préjugés à combattre, point de scrupules à lever ; je ne désirais qu’une seconde entrevue pour être heureux ; encore ne fallait-il pas qu’elle fût longue, de peur d’avoir du temps de reste, et de ne savoir qu’en faire. J’eus un autre jour l’occasion de la reconduire dans son appartement : chemin faisant, je lui demandai la permission d’y rester un moment ; elle me fut accordée. Aussitôt je me mis en devoir de lui dire des choses tendres et galantes autant qu’il m’en vint ; que je l’avais aimée depuis que j’avais eu le bonheur de la voir ; que c’était un de ces coups de sympathie auxquels jusqu’alors j’avais ajouté peu de foi, et qu’il fallait que ma passion fût bien violente, puisque j’osais la lui déclarer la seconde fois que je jouissais de son entretien : elle m’écouta attentivement ; puis tout à coup éclatant de rire, elle se leva et appela toutes ses femmes, qui accoururent, et qu’elle renvoya. Je la priai de se remettre d’une surprise à laquelle ses charmes ne l’exposaient pas sans doute pour la première fois. Vous avez raison, me répondit-elle : on m’a aimée, on me l’a dit, et je devrais y être faite ; mais il m’est toujours nouveau de voir des hommes, parce qu’ils sont aimables, prétendre qu’on leur sacrifiera l’honneur, la réputation, les mœurs, la modestie, la pudeur, et la plupart des vertus qui font l’ornement de notre sexe ; car