Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/458

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Monsieur le génie, si vous saviez ce que l’on dit de vous de l’autre côté, je crois que vous en ririez de bon cœur. Au surplus, ce n’est pas ma faute si je n’ai pas voulu croire un mot de tout ce que vous prétendez avoir fait pour moi, et si j’ai été même jusqu’à douter de votre existence ; on m’a conté tout cela d’une façon si ridicule, qu’il n’y avait en vérité pas moyen d’y ajouter foi. »

Le génie aura souri vraisemblablement de la franchise de l’étranger, et lui aura dit d’un ton majestueux et moqueur : « Il m’importe[1] fort peu, mon ami, que vous et vos pareils croyiez ou niiez mon existence. Tranquillisez-vous, au reste. Ce n’est ni pour votre bien ni pour votre mal que vous avez habité et parcouru ces contrées. Lorsqu’on se trouve une fois dans le chemin où vous étiez, c’est une nécessité d’entrer dans ce pays-là, parce que le chemin ne mène point ailleurs. Par la même nécessité, le courant de l’eau vous a mené ici ; j’aurais sur tout cela, aura-t-il ajouté, beaucoup de très-belles choses à vous dire ; mais vous croyez bien, mon enfant, que j’ai autre chose à faire qu’à instruire un polisson comme vous. Allez vous établir dans quelque coin, et laissez-moi en repos jusqu’à ce que le temps et la nécessité disposent encore de vous. Bonsoir. »

L’étranger, en se retirant, aura dit en lui-même : « Je savais bien que s’il y avait un génie sur cette rive, il était bon et indulgent, et que nous n’aurions rien à démêler ensemble. Dans tous les cas, il n’est rien de tel pour ne pas se tromper, que d’être toujours sincère avec soi-même. »

Qu’en pensez-vous[2] ?
  1. Rousseau met : il importe.
  2. Ces derniers mots manquent dans Rousseau.