Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/477

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cinqmars.

Oui, mais vous ne riez plus.

derville, étonné et embarrassé.

Plaît-il ?

cinqmars.

Vous ne riez plus ; ce fait ne vous paraît donc plus si plaisant ?…

derville.

C’est que la façon de conter fait tout. Je vous l’avais bien dit ; cela n’a plus le même sel.

cinqmars, en lui prenant la main.

Ce n’est pas cela, mon ami ; l’évaporation générale à laquelle on participe sans s’en apercevoir, à la fin d’un repas bruyant, nous ôte souvent la faculté de réfléchir ; et le rire déplacé ou inconsidéré en est la suite, quand il ne vient pas d’un vice du cœur. Vous me paraissiez tous, vis-à-vis du chevalier, lorsqu’il contrefaisait les convulsionnaires, comme des gens qui iraient aux petites-maisons, par partie de plaisir, repaître leur férocité du tableau de la misère et de la faiblesse humaines. Comment, morbleu ! vous n’êtes affecté que du ridicule de cette indécente pantomime, et vous ne voyez pas que le délire et l’aliénation de ces têtes fanatiques les rendent cruels et homicides envers eux et leurs semblables ?

derville.

J’en conviens ; mais au diable, si je puis les plaindre à un certain point. C’est un genre de bonheur qu’ils ont choisi.

cinqmars.

Soit. Mais la cause de ce choix est absurde !… Ne tient-il pas au dérangement des organes, et par conséquent à la faiblesse de notre nature ?… Une fibre plus ou moins tendue… Tenez, un de vos éclats de rire immodérés pouvait vous rendre aussi à plaindre… ou aussi plaisant qu’eux.

derville.

D’accord.

cinqmars.

Et les conséquences, monsieur, les conséquences ! y avez-vous pensé ? Croyez-vous que le fanatisme poussé à ce degré se borne à faire pitié aux uns et à exciter le mépris ou le rire des