Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/479

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derville.

Mais il y a des choses plaisantes par elles-mêmes, et qui n’entraînent point l’idée de défaut. Lorsque le Médecin malgré lui dit qu’il y a fagots et fagots, je vous défie de n’en point rire, et cependant je n’y trouve pas l’idée de défaut.

cinqmars.

Ne voyez-vous pas que c’est l’importance qu’il met à ses fagots qui fait rire ? Mais indépendamment de cela, vous riez de la simplicité de deux paysans qui parlent avec respect à un bûcheron à moitié ivre, qu’ils prennent pour un célèbre médecin. Celui-ci, inquiet de ce qu’ils lui veulent, cache sa peur autant qu’il peut, et croit leur en imposer par son bavardage. C’est le défaut de jugement des uns, et le manque de fermeté de l’autre qui vous ont préparé au ridicule de son importance ; et le malentendu qui règne entre eux achève de rendre la scène plaisante.

derville.

Mais si cela est ainsi, tout défaut physique et moral devrait faire rire ?

cinqmars.

Oui, toutes les fois que l’idée de nuisible ne s’y trouve pas jointe  ; car alors elle arrête le rire de tous ceux qui ont atteint l’âge de raison. Vous n’en verrez point rire à l’aspect d’un homme contrefait… Je gage pourtant qu’un bossu vous fait rire.

derville.

Ma foi, il y a des moments où je n’en répondrais pas.

cinqmars.

Eh bien, mon ami, il faut n’avoir pour cela aucune idée des inconvénients et des maux attachés à cette disgrâce. Ce ne sera pas celui qui a un bossu dans sa famille qui rira de ceux qu’il rencontre.

derville.

Tenez, Cinqmars, je ne crois pas à l’impression de votre nuisible. Je me rappelle vingt exemples où on le réduit à rien. N’avez-vous jamais vu des jouteurs combattre sur la rivière ?

cinqmars.

Pardonnez-moi.