Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/481

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nêtes gens ; il aperçoit d’un coup d’œil une foule de conséquences graves dans des choses qui paraissent très-indifférentes au commun des hommes. Le philosophe est dans le même cas.

derville.

Et, par la raison contraire, les enfants rient de tout.

cinqmars.

Cela est vrai.

derville.

Mais une chute fait rire tout le monde. Il n’y a pas de cas où le nuisible se présente plus vite ni plus généralement. Vous en concluez donc que tous ceux qui en rient manquent de goût, de justice, ou de bonté ?

cinqmars.

Non. Car lorsque le nuisible ne l’emporte pas sur le défaut, il fait rire ; et c’est le cas d’une chute ordinaire ; mais si elle est forte ou dangereuse, elle ne fera rire personne. Si vous prenez un intérêt très-vif à la personne tombée ; si c’est une femme, si cette femme est grosse, son premier vacillement vous aura fait frissonner ; quelque plaisante ou ridicule que soit sa chute, le nuisible sera la seule idée qui vous occupera, et le défaut n’excitera en vous le rire qu’autant que le nuisible sera entièrement effacé. J’étais dernièrement avec des femmes, dans une loge de la salle des comédiens italiens, sur le boulevard. Cette salle a été construite à la hâte, et manque de solidité. Au milieu du spectacle, la loge au-dessus de la nôtre craqua à deux fois, d’une telle force, qu’elle épouvanta tous ceux des environs que sa chute pouvait mettre en danger. Chacun marqua son effroi d’une manière différente. Une femme de notre loge fit un mouvement comme pour se jeter dans l’orchestre. Il se fit un silence général, mais lorsque tout fut calme, et que l’idée du danger fut totalement détruite, le parterre ne vit plus que la peur outrée de cette femme. Il fut un quart d’heure à rire, à battre des mains, et à se dédommager ainsi du trouble qu’elle lui avait causé.

derville.

Voilà qui est à merveille. Mais j’ai deux questions à vous faire, d’où dépendra ma conversion, je vous en avertis.