Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/52

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paraît avoir pris une assiette trop solide et trop fixe pour donner lieu à des révolutions rapides et surprenantes. Ce sont des sociétés presque également peuplées, éclairées, étendues, fortes et jalouses. Elles se presseront, elles agiront et réagiront les unes sur les autres ; au milieu de cette fluctuation continuelle, les unes s’étendront, d’autres seront resserrées, quelques-unes peut-être disparaîtront ; mais quand il en existerait une au centre que son malheur destinerait à dévorer de proche en proche toutes les autres, cette réunion de toutes les puissances en une seule ne pourrait s’exécuter que par une suite de funestes prospérités et dans un laps de temps qui ne se conçoivent pas. Le fanatisme de religion et l’esprit de conquête, ces deux causes perturbatrices du globe, ont cessé. Ce levier, dont l’extrémité est sur la terre et le point d’appui dans le ciel, est presque rompu, et les souverains commencent à avoir le pressentiment, sinon la conviction, que le bonheur, non de leurs peuples dont ils ne se soucient guère, mais le leur, ne consiste pas dans des possessions immenses. Il me semble qu’on veut avoir la sûreté et la richesse chez soi, et que le nouveau monde sera longtemps la pomme de discorde de celui-ci. On entretient de nombreuses armées, on fortifie ses frontières, et l’on songe au commerce. Il s’établit en Europe un esprit de trocs et d’échanges, esprit qui peut donner lieu à de vastes spéculations dans les têtes des particuliers, mais esprit ami de la tranquillité et de la paix. Une guerre au milieu de différentes nations commerçantes est un incendie nuisible à toutes. C’est un procès qui menace la fortune d’un grand négociant, et qui fait pâlir tous ses créanciers. S’il n’est pas encore arrivé, il n’est pas loin ce temps où la sanction tacite des gouvernements s’étendra aux engagements particuliers des sujets d’une nation avec les sujets d’une autre nation, et ces banqueroutes dont les contre-coups se font sentir à des distances immenses, deviendront des considérations d’État. Toute anarchie est passagère, et il n’y a que ce moyen, également utile à toutes les contrées, qui puisse faire cesser l’anarchie encore subsistante du commerce général. Il lui faut une protection armée, et il l’obtiendra, si jamais les souverains sont assez sages pour concevoir que dépouiller leurs sujets c’est se dépouiller eux-mêmes. Genève nous prête cinquante, cent millions : croit-on