Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/68

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soit, sa bonne intention et ses efforts lui procureront les éloges et les remercîments des partisans ignorés et paisibles de la raison, gens aussi inexpérimentés qu’insignifiants ; que quant à eux, maîtres et chefs, il peut tenir pour certain qu’ils ne souffriront jamais qu’on leur enlève, avec de la métaphysique et des injures, les avantages qu’il a plu à la force secondée de la fortune de mettre entre leurs mains, à moins qu’on ne leur offre quelque meilleure perspective que celle de tomber en d’autres mains, dont il n’est pas à supposer qu’ils obtinssent un traitement plus raisonnable et plus humain, à moins d’une révolution universelle et d’une refonte générale en toutes les autres choses comme en celle-ci.

Or, comme ce serait une étrange folie que d’attendre cette révolution universelle, cette refonte générale, et que même, ces deux choses ne pouvant guère s’effectuer que par des voies très-violentes, ce serait du moins pour la génération présente un très-grand malheur, dont la compensation serait fort incertaine pour la génération future ; tout ouvrage spéculatif, tel que celui Dei delitti e delle pene, rentre dans la catégorie des utopies, des républiques à la Platon et autres politiques idéales, qui montrent bien l’esprit, l’humanité et la bonté d’âme des auteurs, mais qui n’ont jamais eu et n’auront jamais aucune influence actuelle et présente sur les affaires ; et que le seul bon ouvrage en ce genre, ce serait celui qui, fondé sur l’étude la plus profonde, la connaissance expérimentale et longue d’un gouvernement, puis d’un autre gouvernement, et des intérêts actuels des chefs, de leurs vues, de leur sécurité, tout en indiquant, si l’on veut, dans une préface, morceau communément assez superflu, ce qu’il y a de mieux en abstraction, séparerait certains points particuliers dont on se réduirait à demander humblement aux chefs l’abrogation, comme d’énormités qui furent peut-être autrefois essentielles à leur salut et bien-être, mais qui pour le présent n’ont aucun trait à ces deux objets respectables, etc., etc.

Je sais bien que ces principes généraux, qui tendront à éclairer et à améliorer l’espèce humaine en général, ne sont pas absolument inutiles ; mais je n’ignore pas qu’ils n’amèneront jamais une sagesse générale. Je sais bien que la lumière nationale n’est pas sans quelque effet sur les chefs, et qu’il s’établit en