Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/70

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philosophes ensemble, de me faire voir que leurs ouvrages aient jamais empêché cette échelle de se raccourcir de plus en plus, jusqu’à ce qu’enfin ses deux bouts se touchassent. Enfin, pour en dire mon avis, les cris des sages et des philosophes sont les cris de l’innocent sur la roue, où ils ne l’ont jamais empêché et jamais ne l’empêcheront d’expirer, les yeux tournés vers le ciel ; supplice qui suscitera peut-être l’extravagance, l’enthousiasme, le délire religieux, ou quelque autre folie vengeresse, qui exécutera ce que toute leur sagesse n’aura pu faire. Ce n’est jamais la harangue du sage qui désarme le fort, c’est une autre chose, que la combinaison des événements fortuits amène. En attendant, il ne faut pas vouloir en arracher, mais il faut en supplier humblement le bien qu’il peut accorder sans se nuire à lui-même.




DES RECHERCHES SUR LE STYLE


PAR BECCARIA.


(1771)


C’est un ouvrage traduit de l’italien du marquis Beccaria, auteur d’un autre ouvrage qui a fait ici, et partout ailleurs, la plus grande sensation : je parle du Traité des Délits et des Peines, que M. l’abbé Morellet a bien tué dans sa traduction, en voulant introduire le protocole de la méthode dans un morceau où les idées philosophiques, colorées, bouillantes, tumultueuses, exagérées, conduisent à chaque instant l’auteur à l’enthousiasme. Il n’a pas senti qu’il y a une gradation naturelle plus ou moins rapide entre les sentiments qui s’élèvent au fond de notre cœur ; que si l’on détruit cette gradation, le calme succède subitement à la fureur, et la fureur au calme, sans qu’il y ait aucun mouvement qui prépare ou qui sauve ces dissonances morales ; que la mélodie des sentiments disparaît, et que l’auteur est fou d’une folie que je ne saurais partager avec lui, parce que je n’y suis point imperceptiblement entraîné ; c’est une fausse ivresse qui me répugne. Il est une loi de nature, et une loi inviolable et éternelle, c’est qu’on ne peut être pathé-