Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, IV.djvu/77

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mourir dans le supplice. — Je n’en suis pas moins de l’avis de l’auteur sur l’inutile atrocité des peines. Je combats ses raisons, et non pas ses principes.


« Qui jamais a voulu donner à d’autres hommes le droit de lui ôter la vie ? Et doit-on supposer que dans le sacrifice que chacun a fait d’une petite partie de sa liberté, il ait pu risquer son existence, le plus précieux de tous les biens ? » Chap. xvi.

C’est parce que la vie est le plus grand de tous les biens, que chacun a consenti que la société eût le droit de l’ôter à celui qui l’ôterait aux autres. Personne sans doute n’a voulu donner à la société le droit de lui ôter la vie à tout propos ; mais chacun, occupé de conserver la sienne, et aucun ne prévoyant pour lui-même la volonté qu’il n’avait pas alors d’attenter à celle d’autrui, tous n’ont vu que l’avantage de la peine de mort, pour la sûreté, la défense et la vengeance publiques. Il est aisé de concevoir que l’homme qui dit : « Je consens qu’on m’ôte la vie, si j’attente à la vie des autres, » se dit à lui-même : « Je n’y attenterai pas ; ainsi la loi sera pour moi, et ne sera pas contre moi. » Ce pacte est si bien dans la nature, qu’on le fait souvent dans des sociétés particulières, comme les conspirations, où l’on jure de se baigner dans le sang de celui qui révélera le secret. Quant à la justice de cette peine, elle est fondée sur la convention et sur l’utilité commune. Si elle est nécessaire, elle est juste. Il reste à savoir si elle est nécessaire.


« L’esclavage perpétuel substitué à la peine de mort a toute la rigueur qu’il faut pour éloigner du crime l’esprit le plus déterminé. » Chap. xvi.

Je pense de même, et il n’est pas possible de n’être point frappé des raisons que l’auteur en donne. Mais j’observe qu’il renonce, et avec raison, à son principe de douceur et d’humanité envers le criminel. Dans les chaînes, sous les coups, dans les barreaux de fer, le désespoir ne termine pas ses maux, mais il les commence. Ce tableau est plus effrayant que celui de la roue, et le supplice qu’il présente est en effet plus cruel que la plus cruelle mort. Mais parce qu’il donne des exemples fréquents et durables, son efficacité le rend préférable au dernier supplice, qui ne dure qu’un instant, et sur lequel les criminels