Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/115

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nais sans savoir ce que je faisais ; je me disais à moi-même en tressaillant de joie : « C’est moi qu’on vient chercher ; tout à l’heure je n’y serai plus… » et je ne me trompais pas.

Deux figures inconnues se présentèrent à moi ; c’étaient une religieuse et la tourière d’Arpajon : elles m’instruisirent en un mot du sujet de leur visite. Je pris tumultueusement le petit butin qui m’appartenait ; je le jetai pêle-mêle dans le tablier de la tourière, qui le mit en paquets. Je ne demandai point à voir la supérieure ; la sœur Ursule n’était plus ; je ne quittais personne. Je descends ; on m’ouvre les portes, après avoir visité ce que j’emportais ; je monte dans un carrosse, et me voilà partie.

L’archidiacre et ses deux jeunes ecclésiastiques, madame la présidente de *** et M. Manouri, s’étaient rassemblés chez la supérieure, où on les avertit de ma sortie. Chemin faisant, la religieuse m’instruisit de la maison ; et la tourière ajoutait pour refrain à chaque phrase de l’éloge qu’on m’en faisait : « C’est la pure vérité… » Elle se félicitait du choix qu’on avait fait d’elle pour aller me prendre, et voulait être mon amie ; en conséquence elle me confia quelques secrets, et me donna quelques conseils sur ma conduite ; ces conseils étaient apparemment à son usage ; mais ils ne pouvaient être au mien. Je ne sais si vous avez vu le couvent d’Arpajon ; c’est un bâtiment carré, dont un des côtés regarde sur le grand chemin, et l’autre sur la campagne et les jardins. Il y avait à chaque fenêtre de la première façade une, deux, ou trois religieuses ; cette seule circonstance m’en apprit, sur l’ordre qui régnait dans la maison, plus que tout ce que la religieuse et sa compagne ne m’en avaient dit. On connaissait apparemment la voiture où nous étions ; car en un clin d’œil toutes ces têtes voilées disparurent ; et j’arrivai à la porte de ma nouvelle prison. La supérieure vint au-devant de moi, les bras ouverts, m’embrassa, me prit par la main et me conduisit dans la salle de la communauté, où quelques religieuses m’avaient devancée, et où d’autres accoururent.


Cette supérieure s’appelle madame***. Je ne saurais me refuser à l’envie de vous la peindre avant que d’aller plus loin. C’est une petite femme toute ronde, cependant prompte et vive dans ses mouvements : sa tête n’est jamais assise sur ses épaules ; il y a toujours quelque chose qui cloche dans son