Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/15

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Diderot s’arrêtât en chemin ? Que voulait-il peindre ? La vie des cloîtres. Et il aurait laissé de côté une des formes de la maladie hystérique qui en résulte si souvent, pour ne pas dire toujours ? Les cruautés, on peut les nier : elles se passent à huis clos et ne transpirent que rarement (voir cependant Louis Blanc, Histoire de la Révolution, t. III, p. 338, renvoyant au Mémoire de M. Tilliard avec les notes de la sœur Marie Lemonnier, mémoire dont les journaux ont publié des extraits vers 1845) ; mais la maladie parle, et toujours haut, et elle réclame l’intervention d’un homme, qui n’est plus le prêtre, mais le médecin. Si discret que soit celui-ci, avec quelque soin qu’on le choisisse, il ne peut pas toujours trahir la science, sa véritable maîtresse, et il parle. La Religieuse est la mise en action des idées qui règnent dans l’admirable morceau sur les Femmes (voir tome II), et l’on eût voulu que la bête féroce n’y jouât pas son rôle ? On eût voulu que Diderot se condamnât au lieu commun, bon pour La Harpe, de la religieuse au cœur plein d’un amour mondain ? Cela était impossible. La seule chose possible était de toucher à ces matières avec discrétion, avec prudence, et si l’on rapproche les passages où Diderot peint la maladie de la supérieure dissolue de ceux de certains de ses ouvrages où il n’avait pas à montrer autant de réserve, on ne pourra se refuser à reconnaître qu’il a fait effort pour se maintenir dans les limites au delà desquelles commence la licence, et qu’il ne les a pas même atteintes. À l’ignorant, il n’apprend rien ; à celui qui sait, il est bien loin de tout dire.

Sur ce point particulier, Naigeon a dit des sottises, et ce n’était pas à l’homme qui a ajouté les chapitres que nous avons marqués dans les Bijoux indiscrets à se signer hypocritement devant une page, une seule, à laquelle on ne peut reprocher que d’être au-dessous de la réalité.

Fidèle à nos habitudes, nous rappellerons ici deux appréciations contemporaines qui nous semblent des plus sensées. L’une est tirée de la Décade philosophique. La seconde est d’un ami de Diderot, que nous retrouverons : Jean Devaines. Nous donnerons celle-ci tout au long, parce qu’elle est dans une tonalité excellente.

L’article de la Décade, sous le titre d’Extraits de la Religieuse, est signé A[1]. Il est enthousiaste.

« On a fort bien fait, dit-il, d’empêcher la publication d’un pareil livre sous l’ancien régime ; quelque jeune homme, après l’avoir lu, n’aurait pas manqué d’aller mettre le feu au premier couvent de nonnes ; mais on fait encore mieux de le publier à présent ; cette lecture pourra

  1. Nous supposons que cet A cache Andrieux, alors un des principaux rédacteurs de la Décade ; mais, en retrouvant la conclusion de l’article dans la Nouvelle Bibliothèque d’un homme de goût (1810, t. V, p. 84), nous devons nous demander si son véritable auteur ne serait pas A.-A. Barbier, qui n’aurait modifié, sous l’Empire, sa première rédaction qu’en la condensant et en écrivant « hommes sages » à la place de « philosophes. »