Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/150

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je leur ai communiqué mes idées ; elles les ont approuvées, et nous avons une proposition à vous faire. Il est impossible que nous ne réussissions pas ; et si nous réussissons, cela fera un petit bien à la maison et quelque douceur pour vous… »

À six heures, les discrètes entrèrent ; la discrétion des maisons religieuses est toujours bien décrépite et bien vieille. Je me levai, elles s’assirent ; et la supérieure me dit : « Sœur Sainte-Suzanne, ne m’avez-vous pas appris que vous deviez à la bienfaisance de M. Manouri la dot qu’on vous a faite ici ?

— Oui, chère mère.

— Je ne me suis donc pas trompée, et les sœurs de Longchamp sont restées en possession de la dot que vous leur avez payée en entrant chez elles ?

— Oui, chère mère.

— Elles ne vous en ont rien rendu ?

— Non, chère mère.

— Elles ne vous en font point de pension ?

— Non, chère mère.

— Cela n’est pas juste ; c’est ce que j’ai communiqué à nos discrètes ; et elles pensent, comme moi, que vous êtes en droit de demander contre elles, ou que cette dot vous soit restituée au profit de notre maison, ou qu’elles vous en fassent la rente. Ce que vous tenez de l’intérêt que M. Manouri a pris à votre sort, n’a rien de commun avec ce que les sœurs de Longchamp vous doivent ; ce n’est point à leur acquit qu’il a fourni votre dot.

— Je ne le crois pas ; mais pour s’en assurer, le plus court c’est de lui écrire.

— Sans doute ; mais au cas que sa réponse soit telle que nous la désirons, voici les propositions que nous avons à vous faire : nous entreprendrons le procès en votre nom contre la maison de Longchamp ; la nôtre fera les frais, qui ne seront pas considérables, parce qu’il y a bien de l’apparence que M. Manouri ne refusera pas de se charger de cette affaire ; et si nous gagnons, la maison partagera avec vous moitié par moitié le fonds ou la rente. Qu’en pensez-vous, chère sœur ? vous ne répondez pas, vous rêvez.

— Je rêve que ces sœurs de Longchamp m’ont fait beaucoup de mal, et que je serais au désespoir qu’elles imaginassent que je me venge.