Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/156

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— Mais, mon père, lui répliquai-je, vous l’avez entendue elle-même tout à l’heure. »

Il ne me répondit rien ; mais poussant un soupir profond, il porta ses bras contre une des parois du confessionnal, et appuya sa tête dessus comme un homme pénétré de douleur : il demeura quelque temps dans cet état. Je ne savais que penser ; les genoux me tremblaient ; j’étais dans un trouble, un désordre qui ne se conçoit pas. Tel serait un voyageur qui marcherait dans les ténèbres entre des précipices qu’il ne verrait pas, et qui serait frappé de tout côté par des voix souterraines qui lui crieraient : « C’est fait de toi ! » Me regardant ensuite avec un air tranquille, mais attendri, il me dit : « Avez-vous de la santé ?

— Oui, mon père.

— Ne seriez-vous pas trop incommodée d’une nuit que vous passeriez sans dormir ?

— Non, mon père.

— Eh bien ! me dit-il, vous ne vous coucherez point celle-ci ; aussitôt après votre collation vous irez dans l’église, vous vous prosternerez au pied des autels, vous y passerez la nuit en prières. Vous ne savez pas le danger que vous avez couru : vous remercierez Dieu de vous en avoir garantie ; et demain vous approcherez de la sainte table avec toutes les autres religieuses. Je ne vous donne pour pénitence que de vous tenir loin de votre supérieure, et que de repousser ses caresses empoisonnées. Allez ; je vais de mon côté unir mes prières aux vôtres. Combien vous m’allez causer d’inquiétudes ! Je sens toutes les suites du conseil que je vous donne ; mais je vous le dois, et je me le dois à moi-même. Dieu est le maître ; et nous n’avons qu’une loi. »

Je ne me rappelle, monsieur, que très-imparfaitement tout ce qu’il me dit. À présent que je compare son discours tel que je viens de vous le rapporter, avec l’impression terrible qu’il me lit, je n’y trouve pas de comparaison ; mais cela vient de ce qu’il est brisé, décousu ; qu’il y manque beaucoup de choses que je n’ai pas retenues, parce que je n’y attachais aucune idée distincte, et que je ne voyais et ne vois encore aucune importance à des choses sur lesquelles il se récriait avec le plus de violence. Par exemple, qu’est-ce qu’il trouvait de si étrange dans la scène du clavecin ? N’y a-t-il pas des personnes sur lesquelles la musique fait la plus violente impression ? On m’a dit à moi-même