Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/17

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alors que Dieu se retire, que l’esprit se tait. Elle ne trouve pas de force pour lutter contre cet état pénible ; un trouble secret la consume, la vie lui est à charge ; elle conjure l’Être qu’elle adore, ou de se rapprocher d’elle, ou de l’appeler à lui.

« Ceux qui ont lu quelques pages de sainte Thérèse, de saint François de Sales, le Moyen Court, les Torrents de Mme Guyon, y auront vu les traits divers qui ont été réunis pour former la mystique idéale.

« Vous frémissez ensuite lorsque vous apprenez quels sont les tourments qu’une supérieure, dont l’âme est atroce, le pouvoir sans bornes, l’imagination infernale, peut faire subir à la religieuse qui a osé invoquer la justice contre des serments arrachés par la violence. Le cilice la déchire ; la discipline fait couler son sang ; ses vêtements sont les lambeaux de la misère ; sa nourriture est celle des plus vils animaux ; sa demeure, un caveau glacé ; son sommeil est interrompu par des cris sinistres. Accusée comme infâme, rejetée de l’Église comme sacrilège, exorcisée comme possédée, ses compagnes la foulent sous leurs pieds, et on la pousse au désespoir pour la déterminer au suicide.

« À cette peinture effrayante, succède le portrait d’une prieure abandonnée à un vice honteux. Elle a jeté le désordre dans la communauté, tyrannisé les vieilles recluses, perverti les jeunes sœurs ; elle emploie la ruse, la force et les larmes pour perdre une innocente. Les commencements, les progrès, les suites de la séduction, l’impétuosité des désirs, la douleur des refus, les fureurs de la jalousie, tout ce qu’un esprit dépravé peut ajouter à des mœurs infâmes, est rendu avec une chaleur si vive, qu’il ne sera guère possible aux femmes de lire ce morceau, et que les hommes délicats regretteront que l’auteur n’ait pas fait usage du talent avec lequel, dans l’article Jouissance, de l’Encyclopédie, il a su exprimer, sans offenser la pudeur la plus timide, toutes les délices de la volupté ; mais peut-être est-il au-dessus du pouvoir de l’art de voiler un genre de corruption qui, isolant un sexe de l’autre, est le plus grand outrage que puisse recevoir la nature ; peut-être aussi l’artiste a-t-il pensé que s’il diminuait la laideur du crime, il affaiblirait l’indignation. Quoi qu’il en soit, la catastrophe est telle que les rigoristes peuvent le souhaiter : la coupable passe de la débauche aux remords, des remords au délire, et du délire à une fin funeste.

« Tout l’ouvrage est d’un intérêt pressant. La réforme qu’il aurait pu opérer en France a précédé sa publication ; mais, en retranchant quelques pages qui lui sont étrangères, et dont je parlerai dans un moment, il sera très-utile dans les pays où l’usage absurde et barbare de renfermer des bourreaux avec des victimes subsiste encore.

« Cette production honore la mémoire de Diderot, et est une preuve