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Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/178

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— À l’hôpital ? est-ce que vous seriez hors de maison ?

— Hélas ! oui.

— Qu’avez-vous donc fait pour avoir été chassée à l’heure qu’il est ! Mais nous voilà à la porte de Sainte-Catherine ; voyons si nous pourrions nous faire ouvrir ; en tout cas, ne craignez rien, vous ne resterez pas dans la rue, vous coucherez avec moi. »


Je reviens chez le chandelier. Effroi de la servante, lorsqu’elle voit mes jambes dépouillées de leur peau par la chute que j’avais faite en sortant du couvent. J’y passe la nuit. Le lendemain au soir je retourne à Sainte-Catherine ; j’y demeure trois jours, au bout desquels on m’annonce qu’il faut, ou me rendre à l’hôpital général, ou prendre la première condition qui s’offrira.


Danger que je courus à Sainte-Catherine, de la part des hommes et des femmes ; car c’est là, à ce qu’on m’a dit depuis, que les libertins et les matrones de la ville vont se pourvoir. L’attente de la misère ne donna aucune force aux séductions grossières auxquelles j’y fus exposée. Je vends mes hardes, et j’en choisis de plus conformes à mon état.


J’entre au service d’une blanchisseuse, chez laquelle je suis actuellement. Je reçois le linge et je le repasse ; ma journée est pénible ; je suis mal nourrie, mal logée, mal couchée, mais en revanche traitée avec humanité. Le mari est cocher de place ; sa femme est un peu brusque, mais bonne du reste. Je serais assez contente de mon sort, si je pouvais espérer d’en jouir paisiblement.


J’ai appris que la police s’était saisie de mon ravisseur, et l’avait remis entre les mains de ses supérieurs. Le pauvre homme ! il est plus à plaindre que moi ; son attentat a fait bruit ; et vous ne savez pas la cruauté avec laquelle les religieux punissent les fautes d’éclat : un cachot sera sa demeure pour le reste de sa vie ; et c’est aussi le sort qui m’attend si je suis reprise ; mais il y vivra plus longtemps que moi.

La douleur de ma chute se fait sentir ; mes jambes sont enflées, et je ne saurais faire un pas : je travaille assise, car j’aurais peine à me tenir debout. Cependant j’appréhende le