Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/211

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point abandonnée. Si celle-là n’est pas sauvée, que deviendrons-nous ? L’espoir que j’avais de sa guérison a disparu tout à coup. Il s’était formé un abcès au côté, qui faisait un progrès sourd depuis sa chute. Elle n’a pas voulu souffrir qu’on l’ouvrît à temps, et quand elle a pu s’y résoudre, il était trop tard. Elle sent arriver son dernier moment ; elle m’éloigne ; et je vous avoue que je ne suis pas en état de soutenir ce spectacle. Elle fut administrée hier entre dix et onze heures du soir. Ce fut elle qui le demanda. Après cette triste cérémonie, je restai seule à côté de son lit. Elle m’entendit soupirer, elle chercha ma main, je la lui donnai ; elle la prit, la porta contre ses lèvres, et m’ attirant vers elle, elle me dit, si bas que j’avais peine à l’entendre : « Maman, encore une grâce.

— Laquelle, mon enfant ?

— Me bénir, et vous en aller. »

Elle ajouta : « Monsieur le marquis… ne manquez pas de le remercier. »

Ces paroles auront été ses dernières. J’ai donné des ordres, et je me suis retirée chez une amie, où j’attends de moment en moment. Il est une heure après minuit. Peut-être avons-nous à présent une amie au ciel.

Je suis avec respect, monsieur, votre très-humble et très-obéissante servante,

Signé : Moreau-Madin.
La lettre précédente est du 7 mai ; mais elle n’était point datée.


LETTRE
de madame madin à m. le marquis de croismare.


La chère enfant n’est plus ; ses peines sont finies ; et les nôtres ont peut-être encore longtemps à durer. Elle a passé de ce monde dans celui où nous sommes tous attendus, mercredi dernier, entre trois et quatre heures du matin. Comme sa vie avait été innocente, ses derniers instants ont été tranquilles, malgré tout ce qu’on a fait pour les troubler. Permettez que je vous remercie du tendre intérêt que vous avez pris à son sort ; c’est le seul devoir qui me reste à lui rendre. Voilà toutes les