Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/255

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Je n’entends pas trop, ni cette cadence, ni ce silence qu’elle interrompt[1].

Je renvoie encore les dédaigneux au morceau où le poëte embarque les navigateurs pour l’autre hémisphère. Il commence par l’exclamation :


Heureux, cent fois heureux l’habitant des hameaux !


Le poëte a bien connu la pluie de mai ; mais combien d’effets piquants il en a ignorés ou omis, par ce défaut général d’instruction qui perce dans tout son poëme ! C’est alors que la femelle des oiseaux se hâte d’aller étendre ses ailes sur ses œufs. C’est alors que le mâle va saisir l’insecte réfugié sous les feuilles du buisson. C’est alors que le jeune berger revient triste, car il n’a plus retrouvé dans le nid les petits dont il avait préparé la cage, et qu’il avait promis à celle qu’il aime.

Il y a du sentiment et de la philosophie dans l’endroit où le poëte préfère le désordre des champs aux jardins symétriques.

L’épisode du fils de Raimond, à qui l’amour, ami du mystère, apprit à introduire des bosquets retirés, des asiles secrets dans le jardin agreste de son père, est ingénieux, mais froid.

Je ne fais pas grand cas de la peinture des armées mises en campagne ; mais ce n’est pas la faute du sujet, car il prêtait à la poésie.

L’idée d’une matinée de printemps, et son effet sur les sens ranimés et les organes renaissants de l’homme au sortir d’une longue maladie, est on ne saurait plus heureuse ; mais quel poëte ce morceau n’exigeait-il pas ! Où sont les couleurs dont on peint l’homme à peine échappé des portes du trépas, et cet homme rouvrant les yeux à la lumière, respirant l’air balsamique du printemps, et recevant par tous les sens la vie nouvelle de la nature ? Sur la palette de Lucrèce. M. de Saint-Lambert a étouffé quelques beaux vers dans une foule de vers communs.

  1. « Moi, je l’entends bien, mais c’est que cela n’est pas heureusement exprimé ; c’est la justesse et la grâce qui manquent à tout ce ramage. » (Note de Grimm.)