Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/315

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MON FRÈRE.

Il lui tint ce discours : « J’ai fait votre devoir. C’est moi qui ai condamné et mis à mort les scélérats que vous deviez punir. Voilà les procès-verbaux qui constatent leurs forfaits. Vous y verrez la marche de la procédure judiciaire que j’ai suivie. J’ai été tenté de commencer par vous ; mais j’ai respecté dans votre personne le maître auguste que vous représentez. Ma vie est entre vos mains, et vous en pouvez disposer. »

LE PRIEUR.

Ce qui fut fait.

MON FRÈRE.

Je l’ignore ; mais je sais qu’avec tout ce beau zèle pour la justice, cet homme n’était qu’un meurtrier.

LE PRIEUR.

Un meurtrier ! le mot est dur : quel autre nom pourrait-on lui donner, s’il avait assassiné des gens de bien ?

MOI.

Le beau délire !

MA SŒUR.

Il serait à souhaiter…

MON FRÈRE, à moi.

Vous êtes le souverain : cette affaire est soumise à votre décision ; quelle sera-t-elle ?

MOI.

L’abbé, vous me tendez un piège ; et je veux bien y donner. Je condamnerai le vice-roi à prendre la place du savetier, et le savetier à prendre la place du vice-roi.

MA SŒUR.

Fort bien, mon frère.


Mon père reparut avec ce visage serein qu’il avait toujours après la prière. On lui raconta le fait, et il confirma la sentence de l’abbé. Ma sœur ajouta : « et voilà Messine privée, sinon du seul homme juste, du moins du seul brave citoyen qu’il y eût. Cela m’afflige. »

On servit ; on disputa encore un peu contre moi ; on plaisanta beaucoup le prieur sur sa décision du chapelier, et le peu de cas qu’il faisait des prieurs et des chanoines. On lui proposa le