Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/317

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Une jeune femme, qui occupait le premier, descendit ; c’était la gaieté et la folie en personne. Mon père lui demanda des nouvelles de son mari : ce mari était un libertin qui avait donné à sa femme l’exemple des mauvaises mœurs, qu’elle avait, je crois, un peu suivi ; et qui, pour échapper à la poursuite de ses créanciers, s’en était allé à la Martinique. Mme d’Isigny, c’était le nom de notre locataire, répondit à mon père : « M. d’Isigny ? Dieu merci ! je n’en ai plus entendu parler ; il est peut-être noyé.

LE PRIEUR.

Noyé ! je vous en félicite.

MADAME D’ISIGNY.

Qu’est-ce que cela vous fait, monsieur l’abbé ?

LE PRIEUR.

Rien, mais à vous ?

MADAME D’ISIGNY.

Et qu’est-ce que cela me fait à moi ?

LE PRIEUR.

Mais, on dit…

MADAME D’ISIGNY.

Et qu’est-ce qu’on dit ?

LE PRIEUR.

Puisque vous le voulez savoir, on dit qu’il avait surpris quelques-unes de vos lettres.

MADAME D’ISIGNY.

Et n’avais-je pas un beau recueil des siennes ?…


Et puis voilà une querelle tout à fait comique entre le prieur et Mme d’Isigny sur les privilèges des deux sexes. Mme d’Isigny m’appela à son secours ; et j’allais prouver au prieur que le premier des deux époux qui manquait au pacte, rendait à l’autre sa liberté ; mais mon père demanda son bonnet de nuit, rompit la conversation, et nous envoya coucher. Lorsque ce fut à mon tour de lui souhaiter la bonne nuit, en l’embrassant, je lui dis à l’oreille : « Mon père, c’est qu’à la rigueur il n’y a point de lois pour le sage…

— Parlez plus bas…

— Toutes étant sujettes à des exceptions, c’est à lui qu’il