Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/33

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Il recommença :

« Marie-Suzanne Simonin, promettez-vous à Dieu chasteté, pauvreté et obéissance ? »

Je lui répondis d’une voix plus ferme :

« Non, monsieur, non. »

Il s’arrêta et me dit : « Mon enfant, remettez-vous, et écoutez-moi.

— Monseigneur, lui dis-je, vous me demandez si je promets à Dieu chasteté, pauvreté et obéissance ; je vous ai bien entendu, et je vous réponds que non… »

Et me tournant ensuite vers les assistants, entre lesquels il s’était élevé un assez grand murmure, je fis signe que je voulais parler ; le murmure cessa et je dis :

« Messieurs, et vous surtout mon père et ma mère, je vous prends tous à témoin… »

À ces mots une des sœurs laissa tomber le voile de la grille, et je vis qu’il était inutile de continuer. Les religieuses m’entourèrent, m’accablèrent de reproches ; je les écoutai sans mot dire. On me conduisit dans ma cellule, où l’on m’enferma sous la clef.

Là, seule, livrée à mes réflexions, je commençai à rassurer mon âme ; je revins sur ma démarche, et je ne m’en repentis point. Je vis qu’après l’éclat que j’avais fait, il était impossible que je restasse ici longtemps, et que peut-être on n’oserait pas me remettre en couvent. Je ne savais ce qu’on ferait de moi ; mais je ne voyais rien de pis que d’être religieuse malgré soi. Je demeurai assez longtemps sans entendre parler de qui que ce fût. Celles qui m’apportaient à manger entraient, mettaient mon dîner à terre et s’en allaient en silence. Au bout d’un mois on m’apporta des habits de séculière ; je quittai ceux de la maison ; la supérieure vint et me dit de la suivre. Je la suivis jusqu’à la porte conventuelle ; là je montai dans une voiture où je trouvai ma mère seule qui m’attendait ; je m’assis sur le devant ; et le carrosse partit. Nous restâmes l’une vis-à-vis de l’autre quelque temps sans mot dire ; j’avais les yeux baissés, et je n’osais la regarder. Je ne sais ce qui se passait dans mon âme ; mais tout à coup je me jetai à ses pieds, et je penchai ma tête sur ses genoux ; je ne lui parlais pas, mais je sanglotais et j’étouffais. Elle me repoussa durement. Je ne me relevai pas ; le