Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/338

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— Cette réflexion, juste d’ailleurs, n’était pas applicable à Mlle de La Chaux.

Pendant sa convalescence, nous arrangeâmes l’emploi de son temps. Elle avait de l’esprit, de l’imagination, du goût, des connaissances, plus qu’il n’en fallait pour être admise à l’Académie des inscriptions. Elle nous avait tant et tant entendus métaphysiquer, que les matières les plus abstraites lui étaient devenues familières ; et sa première tentative littéraire fut la traduction des Essais sur l’entendement humain, de Hume. Je la revis ; et, en vérité, elle m’avait laissé bien peu de chose à rectifier. Cette traduction fut imprimée en Hollande et bien accueillie du public.

Ma Lettre sur les Sourds et Muets parut presque en même temps. Quelques objections très-fines qu’elle me proposa donnèrent lieu à une addition qui lui fut dédiée[1]. Cette addition n’est pas ce que j’ai fait de plus mal.

La gaieté de Mlle de La Chaux était un peu revenue. Le docteur nous donnait quelquefois à manger, et ces dîners n’étaient pas trop tristes. Depuis l’éloignement de Gardeil, la passion de Le Camus avait fait de merveilleux progrès. Un jour, à table, au dessert, qu’il s’en expliquait avec toute l’honnêteté, toute la sensibilité, toute la naïveté d’un enfant, toute la finesse d’un homme d’esprit, elle lui dit, avec une franchise qui me plut infiniment, mais qui déplaira peut-être à d’autres : « Docteur, il est impossible que l’estime que j’ai pour vous s’accroisse jamais. Je suis comblée de vos services ; et je serais aussi noire que le monstre de la rue Hyacinthe, si je n’étais pénétrée de la plus vive reconnaissance. Votre tour d’esprit me plaît on ne saurait davantage. Vous me parlez de votre passion avec tant de délicatesse et de grâce, que je serais, je crois, fâchée que vous ne m’en parlassiez plus. La seule idée de perdre votre société ou d’être privée de votre amitié suffirait pour me rendre malheureuse. Vous êtes un homme de bien, s’il en fut jamais. Vous êtes d’une bonté et d’une douceur de caractère incomparables. Je ne crois pas qu’un cœur puisse tomber en de meilleures mains. Je prêche le mien du matin au soir en votre faveur ; mais a beau prêcher qui n’a envie de bien faire. Je n’en

  1. Voir t. Ier, p. 399.