Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/351

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ma personne et mon bien, vous résigner mes volontés et mes fantaisies ; vous serez tout au monde pour moi ; mais il faut que je sois tout au monde pour vous ; je ne puis être satisfaite à moins. Je suis, je crois, l’unique pour vous dans ce moment ; et vous l’êtes certainement pour moi ; mais il est très-possible que nous rencontrions, vous une femme qui soit plus aimable, moi quelqu’un qui me le paraisse. Si la supériorité de mérite, réelle ou présumée, justifiait l’inconstance, il n’y aurait plus de mœurs. J’ai des mœurs ; je veux en avoir, je veux que vous en ayez. C’est par tous les sacrifices imaginables, que je prétends vous acquérir sans réserve. Voilà mes droits, voilà mes titres ; et je n’en rabattrai jamais rien. Je ferai tout pour que vous ne soyez pas seulement un inconstant, mais pour qu’au jugement des hommes sensés, au jugement de votre propre conscience, vous soyez le dernier des ingrats. J’accepte le même reproche, si je ne réponds pas à vos soins, à vos égards, à votre tendresse, au delà de vos espérances. J’ai appris ce dont j’étais capable, à côté d’un époux qui ne me rendait les devoirs d’une femme ni faciles ni agréables. Vous savez à présent ce que vous avez à attendre de moi. Voyez ce que vous avez à craindre de vous. Parlez-moi, chevalier, parlez-moi nettement. Ou je deviendrai votre épouse, ou je resterai votre amie ; l’alternative n’est pas cruelle. Mon ami, mon tendre ami, je vous en conjure, ne m’exposez pas à détester, à fuir le père de mes enfants, et peut-être, dans un accès de désespoir, à repousser leurs innocentes caresses. Que je puisse, toute ma vie, avec un nouveau transport, vous retrouver en eux et me réjouir d’avoir été leur mère. Donnez-moi la plus grande marque de confiance qu’une femme honnête ait sollicitée d’un galant homme ; refusez-moi, si vous croyez que je me mette à un trop haut prix. Loin d’en être offensée, je jetterai mes bras autour de votre cou ; et l’amour de celles que vous avez captivées, et les fadeurs que vous leur avez débitées, ne vous auront jamais valu un baiser aussi sincère, aussi doux que celui que vous aurez obtenu de votre franchise et de ma reconnaissance ! »

— Je crois avoir entendu dans le temps une parodie bien comique de ce discours.

— Et par quelque bonne amie de Mme de La Carlière ?