Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/36

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parents va s’expliquer pour vous ; j’en ai obtenu la permission de madame votre mère. Vous êtes sage ; vous avez de l’esprit, de la fermeté ; vous êtes dans un âge où l’on pourrait vous confier un secret, même qui ne vous concernerait point. Il y a longtemps que j’ai exhorté pour la première fois madame votre mère à vous révéler celui que vous allez apprendre ; elle n’a jamais pu s’y résoudre : il est dur pour une mère d’avouer une faute grave à son enfant : vous connaissez son caractère ; il ne va guère avec la sorte d’humiliation d’un certain aveu. Elle a cru pouvoir sans cette ressource vous amener à ses desseins ; elle s’est trompée ; elle en est fâchée : elle revient aujourd’hui à mon conseil ; et c’est elle qui m’a chargé de vous annoncer que vous n’étiez pas la fille de M. Simonin. »

Je lui répondis sur-le-champ : « Je m’en étais doutée.

— Voyez à présent, mademoiselle, considérez, pesez, jugez si madame votre mère peut sans le consentement, même avec le consentement de monsieur votre père, vous unir à des enfants dont vous n’êtes point la sœur ; si elle peut avouer à monsieur votre père un fait sur lequel il n’a déjà que trop de soupçons.

— Mais, monsieur, qui est mon père ?

— Mademoiselle, c’est ce qu’on ne m’a pas confié. Il n’est que trop certain, mademoiselle, ajouta-t-il, qu’on a prodigieusement avantagé vos sœurs, et qu’on a pris toutes les précautions imaginables, par les contrats de mariage, par le dénaturer des biens, par les stipulations, par les fidéicommis et autres moyens, de réduire à rien votre légitime, dans le cas que vous puissiez un jour vous adresser aux lois pour la redemander. Si vous perdez vos parents, vous trouverez peu de chose ; vous refusez un couvent, peut-être regretterez-vous de n’y pas être.

— Cela ne se peut, monsieur ; je ne demande rien.

— Vous ne savez pas ce que c’est que la peine, le travail, l’indigence.

— Je connais du moins le prix de la liberté, et le poids d’un état auquel on n’est point appelée.

— Je vous ai dit ce que j’avais à vous dire ; c’est à vous, mademoiselle, à faire vos réflexions… »

Ensuite il se leva.

« Mais, monsieur, encore une question.