Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/367

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lière d’inflexible et hautaine bégueule ; car ils se poussent tous les uns les autres ; et comme ils n’ont point de règles dans leurs jugements, ils n’ont pas plus de mesure dans leur expression.

— Mais si vous aviez une fille à marier, la donneriez-vous à Desroches ?

— Sans délibérer, parce que le hasard l’avait engagé dans un de ces pas glissants dont ni vous, ni moi, ni personne ne peut se promettre de se tirer ; parce que l’amitié, l’honnêteté, la bienfaisance, toutes les circonstances possibles, avaient préparé sa faute et son excuse ; parce que la conduite qu’il a tenue, depuis sa séparation volontaire d’avec sa femme, a été irrépréhensible, et que, sans approuver les maris infidèles, je ne prise pas autrement les femmes qui mettent tant d’importance à cette rare qualité. Et puis j’ai mes idées, peut-être justes, à coup sûr bizarres, sur certaines actions, que je regarde moins comme des vices de l’homme que comme des conséquences de nos législations absurdes, sources de mœurs aussi absurdes qu’elles, et d’une dépravation que j’appellerais volontiers artificielle. Cela n’est pas trop clair, mais cela s’éclaircira peut-être une autre fois[1], et regagnons notre gîte. J’entends d’ici les cris enroués de deux ou trois de nos vieilles brelandières qui vous appellent ; sans compter que voilà le jour qui tombe et la nuit qui s’avance avec ce nombreux cortége d’étoiles que je vous avais promis.

— Il est vrai.

  1. C’est à la même époque que Diderot écrivit le Supplément au voyage de Bougainville.