Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/410

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qu’il imaginait. Après avoir goûté quelques instants la douceur de ce repos, il se réveillait, étendait les bras, bâillait, se frottait les yeux, et cherchait encore autour de lui ses adulateurs insipides.

moi.

Vous croyez donc que l’homme heureux a son sommeil.

lui.

Si je le crois ! Moi, pauvre hère ; lorsque le soir j’ai regagné mon grenier et que je me suis fourré dans mon grabat, je suis ratatiné sous ma couverture, j’ai la poitrine étroite et la respiration gênée ; c’est une espèce de plainte faible qu’on entend à peine, au lieu qu’un financier fait retentir son appartement et étonne toute sa rue. Mais ce qui m’afflige aujourd’hui, ce n’est pas de ronfler et de dormir mesquinement comme un misérable.

moi.

Cela est pourtant triste.

lui.

Ce qui m’est arrivé l’est bien davantage.

moi.

Qu’est-ce donc ?

lui.

Vous avez toujours pris quelque intérêt à moi, parce que je suis un bon diable, que vous méprisez dans le fond, mais qui vous amuse…

moi.

C’est la vérité.

lui.

Et je vais vous le dire.


Avant que de commencer il pousse un profond soupir et porte ses deux mains à son front, ensuite il reprend un air tranquille et me dit :

Vous savez que je suis un ignorant, un sot, un fou, un impertinent, un paresseux, ce que nos Bourguignons appellent un fieffé truand, en[1] escroc, un gourmand…

  1. En ou ein pour un, en bourguignon.