Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, V.djvu/437

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moi.

Pour être heureux, assurément.

lui.

Cependant je vois une infinité d’honnêtes gens qui ne sont pas heureux et une infinité de gens qui sont heureux sans être honnêtes.

moi.

Il vous semble.

lui.

Et n’est-ce pas pour avoir eu du sens commun et de la franchise un moment que je ne sais où aller souper ce soir ?

moi.

Oh non ! c’est pour n’en avoir pas toujours eu ; c’est pour n’avoir pas senti de bonne heure qu’il fallait d’abord se faire une ressource indépendante de la servitude.

lui.

Indépendante ou non, celle que je me suis faite est au moins la plus aisée.

moi.

Et la moins sûre et la moins honnête.

lui.

Mais la plus conforme à mon caractère de fainéant, de sot, de vaurien.

moi.

D’accord.

lui.

Et puisque je puis faire mon bonheur par des vices qui me sont naturels, que j’ai acquis sans travail, que je conserve sans effort, qui cadrent avec les mœurs de ma nation, qui sont du goût de ceux qui me protègent, et plus analogues à leurs petits besoins particuliers que des vertus qui les gêneraient en les accusant depuis le matin jusqu’au soir, il serait bien singulier que j’allasse me tourmenter comme une âme damnée pour me bistourner et me faire autre que je ne suis ; pour me donner un caractère étranger au mien, des qualités très-estimables, j’y consens pour ne pas disputer, mais qui me coûteraient beaucoup à acquérir, à pratiquer, ne me mèneraient à rien, peut-être à pis que rien, par la satire continuelle des riches auprès